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trouspette dans
Alzheimerléthique le
7 Octobre 2007 à 11:47
Alzheimerléthique en questions
Alzheimerléthique en questions
Direction Générale de la Santé,
France-Alzheimer,
Association Francophone
des Droits de lHomme Âgé (AFDHA)
Recommandations
D
D
epuis quelques années, la société a pris conscience que la maladie dAlzheimer devenait une des
premières préoccupations de santé des pays développés. Aujourdhui, près de 850 000 personnes
en France sont atteintes de maladie dAlzheimer ou dune maladie apparentée.
La maladie dAlzheimer constitue la principale cause dentrée en institution et entraîne une diminution de
lespérance de vie. En raison du vieillissement de la population, le nombre de personnes atteintes va
augmenter fortement dans les dix prochaines années. Ainsi la France pourrait compter 1,3 million de
malades en 2020, si lon ne prend pas en compte la possibilité dimportants progrès de la recherche .
Il faut souligner les particularités cliniques de cette maladie qui altère les capacités de mémoire et
entraîne la perte des repères dans le temps et lespace : la personne ne reconnaît plus ses enfants, son
conjoint et la maladie dAlzheimer provoque de graves troubles du comportement.
Cette pathologie enlève progressivement à la personne malade sa capacité de penser et de sexprimer, et
sa capacité à prendre soin d'elle-même. La maladie transforme en profondeur la vie de celui qui en
souffre et de sa famille. Les particularités cliniques de la maladie dAlzheimer rendent les personnes
souffrant de cette pathologie très vulnérables.
Les familles, les aidants et les professionnels sont placés devant de nombreuses décisions difficiles à
prendre : décision de consentir ou non à des soins, décision darrêter de conduire, décision de mettre en
place des aides, décision dentrer dans un protocole de recherche, décision dentrer en institution. À
toutes ces décisions, sajoute la difficulté de respecter au mieux le choix et les souhaits de la personne
malade.
Cest pourquoi, dans le cadre du plan Alzheimer 2004-2007, un groupe de travail a été chargé dorganiser
la réflexion éthique afin daider les personnes concernées, les familles et les professionnels à aborder ces
questions. Ce groupe, coordonné par le Professeur Blanchard (CHU de Reims), devra élaborer un
référentiel commun à lensemble des soignants, construit autour de l'impératif de respect de lindividu,
afin didentifier les situations conflictuelles et les valeurs qui sont en jeu et doffrir des espaces de
rencontre et de prise de décision.
Pour parvenir à ces recommandations, un premier colloque national a été organisé en avril 2004 afin de
définir le contenu des futurs débats. Puis cinq colloques en région ont porté sur des thèmes majeurs et
ont eu pour mission de débattre de ces sujets et de proposer des lignes directrices.
À Lille, ont été débattues les questions portant sur le diagnostic, à Rouen sur la vie à domicile, à Toulouse
sur la recherche et le projet de soins, à Reims sur le maintien de la relation à domicile ou en
établissement dhébergement pour personnes âgées à un stade avancé de la maladie et à Montpellier sur
les questions autour de la fin de vie.
Ce document Alzheimer, léthique en questions est le fruit de tous ces débats éthiques, avec le souhait
de les rendre accessibles à tous et de préciser les facteurs clés à prendre en considération dans chaque
type de décisions.
Nous souhaitons que ce document, qui vous est destiné, personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer,
familles, professionnels de santé et chercheurs, puisse vous apporter aide et repères dans votre
quotidien.
Si nous voulons accroître nos connaissances sur la maladie d'Alzheimer et développer une prise en
charge de qualité, tous les acteurs doivent continuer leurs échanges afin de s'assurer que l'intérêt - et le
respect de la personne atteinte de la maladie d'Alzheimer - demeure la priorité en tout temps.
Philippe BAS Xavier BERTRAND
Ministre délégué à la Sécurité sociale, Ministre de la Santé et des Solidarités
aux Personnes âgées, aux Personnes handicapées et à la Famille
Groupe de travail
animé par le Professeur François BLANCHARD, président de lAFDHA, gériatre, CMRR Champagne-Ardenne
Professeur Michel BILLÉ, sociologue, IRTS Poitiers
Docteur Fabienne DUBUISSON, Bureau Personnes Âgées, DASES
Docteur Marie-Yvonne GEORGE, gériatre, Maison Hospitalière Saint-Charles, Nancy
Docteur Mylène KACK, gériatre, CHU Reims
Docteur Benoît LAVALLART, Bureau Maladies Chroniques, Enfance et Vieillissement, DGS
Madame Isabella MORRONE, neuropsychologue, CHU Reims
Professeur Jean-Luc NOVELLA, gériatre, CHU Reims
Professeur Louis PLOTON, psychiatre, gérontologue, Université Lyon II
Docteur Elizabeth QUIGNARD, gériatre, CH Sézanne
Docteur Marie-Françoise ROCHARD-BOUTHIER, psychiatre, CHU Rouen
avec la collaboration de France Alzheimer
Remerciements
L
L
e recueil ici présenté est le résultat dune réflexion et dune expertise collectives sur léthique et la maladie
dAlzheimer. Cette synthèse est le fruit dun travail porté par de très nombreuses personnes. Cette réflexion sest
organisée à partir de cinq grands colloques où les problèmes éthiques étaient abordés en fonction de la
progression de la maladie : Lille Autour du diagnostic ; Rouen Être malade et vivre à domicile et dans la cité ;
Reims Être toujours en relation lorsque la maladie progresse - linstitution ; Toulouse La recherche - le projet de soins et
le contrat de soins; Montpellier La fin de la vie.
Pour chacun de ces colloques, étaient organisés laprès-midi des ateliers de réflexion thématiques où sinscrivaient lensemble
des participants. Cest ainsi plus de 1 600 personnes qui ont apporté leur contribution à la réflexion. Cest à ces professionnels
engagés, ces familles, ces accompagnants que doivent dabord aller les remerciements pour leurs apports si
précieux.
Ces colloques dans chacune de ces villes nont pu être organisés que grâce à laction soutenue, aux efforts de mobilisation
et dorganisation déployés localement par un petit noyau de personnes motivées et responsables. Quils en soient tous ici
remerciés. Parmi eux, je peux citer Sandrine Andrieu, Pierre Delaunay, Anne-Marie Duguet, Karine Fraysse, Didier
Hannequin, Claude Jeandel, Didier Martz, Yves Moynot, Jean-Luc Novella, Florence Pasquier, Marie-Françoise Rochard-
Bouthier, Christine Rolland, Jacques Touchon, Bruno Vellas. Ce sont leur engagement, leur détermination, qui ont permis le
succès de chacun de ces colloques.
Un tel travail de réflexion sur les situations de crises, les difficultés et les réponses éthiques à apporter ne saurait se
concevoir sans les représentants des malades et leurs familles. LAssociation France Alzheimer a été présente tout au long
de ces quatre années pour ce parcours. Que les membres de cette association qui se sont engagés derrière leurs présidents
successifs, Jean Doudrich puis Arlette Meyrieux, soient ici remerciés. Je pense plus particulièrement à Dominique
Beauchamp, Claire Demerliac, Guy Le Rochais, Jean Petitpré, et également à tous les représentants locaux qui ont participé
très activement aux différents colloques.
Pour organiser cette réflexion au niveau national et en faire la synthèse, il faut un groupe de pilotage solide. Ce groupe de
pilotage, nommé en 2002, a fonctionné avec une remarquable continuité depuis cette date jusquà ce jour. Chacun de ses
membres a été nommé pour avoir déjà une réflexion reconnue dans le domaine et un engagement professionnel et
personnel dans la prise en charge des patients atteints de maladie dAlzheimer. Cest ce groupe de pilotage qui a non
seulement assuré lanimation et la coordination, mais aussi insufflé lesprit et lâme de ces groupes de réflexion avec
humanisme et avec lucidité. Quils soient ici remerciés pour leur engagement et leur fidélité. Ce groupe était constitué de
Michel Billé, Fabienne Dubuisson, Marie-Yvonne Georges, Isabella Morrone, Louis Ploton, Elisabeth Quignard, et Benoît
Lavallart qui a joué un rôle particulier dans le soutien sans faille que nous avons eu de ladministration pour organiser cette
réflexion.
Cest ce même groupe de réflexion qui sest attelé à la tâche difficile de la rédaction de la synthèse ici présentée, groupe
auquel se sont adjoints pour cette rédaction Mylène Kack et Jean-Luc Novella.
Enfin, cest grâce à lAFDHA (Association Francophone des Droits de lHomme Âgé) et aux membres de son conseil
dadministration, et à lORRPA (Office Rémois des Retraités et des Personnes Âgées) avec Hélène Albert, que ces colloques
ont pu être organisés, et à Concept Santé avec Anne de Peufeilhoux, que ce recueil a pu être mis en forme.
En citant ces personnes qui ont eu un rôle actif dans cette réflexion, je prends le risque énorme doublier lun ou lautre et
de le blesser involontairement. Aussi, je voudrais terminer ces remerciements en madressant à celui ou celle qui aurait été
oublié et aux anonymes, à ceux qui se sont engagés, qui ont apporté leur pierre pour construire cet édifice : les secrétaires
qui ont participé à la préparation de ces réunions et à la rédaction, tel membre de famille qui a facilité lobtention dune
salle, tel responsable administratif qui a permis que lon puisse trouver des repas plus facilement
, tous ceux grâce
auxquels ces colloques ont pu se tenir. À chacun dentre eux, nous sommes un peu redevables du résultat final qui nous
réunit pour apporter une attention plus humaine, plus respectueuse aux personnes atteintes de la maladie dAlzheimer.
Cest dabord pour ces personnes malades et en leur nom que chacun de ceux qui ont contribué à cette oeuvre éthique doit
être remercié.
Professeur François BLANCHARD
Président de lAFDHA
Coordonnateur du groupe de pilotage
Sommaire
Préface -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------8
I - Autour du diagnostic -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------14
Annonce du diagnostic 14
- Faut-il annoncer le diagnostic ?
- Y-a-t-il un risque à annoncer le diagnostic ?
-A qui annoncer le diagnostic ?
-Qui annonce le diagnostic ?
-Comment annoncer le diagnostic ?
Dépistage et diagnostic précoce 15
- Quelles maladies dépister et comment ?
- Le dépistage a-t-il un intérêt dans la maladie dAlzheimer ?
- Le diagnostic précoce a-t-il un intérêt dans la maladie dAlzheimer ?
- Dans quelle population et avec quels outils le diagnostic précoce doit-il être fait ?
- Faut-il annoncer le diagnostic à un stade pré-clinique (Mild Cognitive Impairment) ?
- Quels sont les freins au diagnostic précoce ?
- Quels sont les moyens daméliorer la précocité et la qualité du diagnostic ?
Génétique et hérédité 17
- Le dépistage génétique a-t-il un intérêt ?
- Quel peut être lapport de la génétique pour établir un diagnostic ?
- Que proposer lors de la survenue dune forme génétique familiale ?
- Que proposer à une famille dont plusieurs membres sont atteints ?
- Quand faut-il aborder la notion dhérédité ?
- Quels sont les pistes de recherches et les résultats attendus ?
Diagnostic à un stade évolué de la maladie 18
- Le diagnostic à un stade tardif a-t-il un intérêt ?
- Lannonce du diagnostic à un stade tardif a-t-elle des particularités ?
Suivi après lannonce du diagnostic 18
- Lannonce du diagnostic doit-elle être accompagnée ?
- Comment sassurer de la compréhension du diagnostic et du projet de soins par le patient ?
-Comment sassurer de la compréhension du diagnostic et du projet de soins par la famille et les proches ?
II - Être malade et vivre à domicile ----------------------------------------------------------------------------------------------------20
Tant que le patient a encore sa raison, comment peut-il prévoir son avenir ? 20
- Faut-il favoriser lexpression de la volonté de la personne malade ?
- Quels sont les moyens dont la personne âgée dispose pour exprimer sa volonté ?
- Qui est la personne de confiance et quels sont ses engagements ?
- Quelle place donner aux directives anticipées ?
Comment concilier sécurité et liberté à domicile ? 21
- Les limitations de liberté de la personne malade peuvent-elles se justifier ?
- Peut-on convenir dun niveau de risque acceptable ?
- Qui met en place ces limitations de liberté ?
- Quelle place donner à la parole du malade dans ces décisions de restriction de liberté ?
- Quelles limitations de liberté sont envisageables ?
- Quelle liberté pour les aidants familiaux ?
Déplacement dans la cité : quelle liberté pour quelle sécurité ? 23
- Quest-ce que la liberté de déplacement ?
- A quels risques expose la maladie dAlzheimer, si cette liberté est respectée ?
- Comment tenter de réduire les risques liés au déplacement dans la cité ?
- Comment tenter de réduire les risques spécifiques liés à la conduite automobile ?
- Peut-on envisager un dépistage des difficultés et des adaptations du permis de conduire ?
- Peut-on empêcher un malade de conduire ? Quel est le rôle du médecin ?
- Quelles alternatives à la conduite automobile ?
Place de lentourage familial dans la prise en charge 25
- Quel est le rôle de la famille dans la prise en charge ?
- Les familles sont-elles des soignants ?
- Quels sont les facteurs de risque dépuisement de laidant familial ?
- Comment agir avec une famille qui refuse dêtre aidée à domicile ?
Jusquoù les aidants professionnels peuvent-ils se substituer au malade et à sa famille ? 27
- Quelles sont les conditions nécessaires à une intervention adaptée des professionnels à domicile ?
- Les professionnels et les familles sont-ils concurrents ou complémentaires ?
- Quels sont les facteurs de risque dune mauvaise qualité des aides à domicile ?
Quelle insertion sociale dans la cité ? 28
- Comment favoriser le maintien de linsertion sociale des personnes malades ?
- Quelle citoyenneté conservent les personnes malades ?
- Comment contribuer à conserver la vie sociale des proches ?
III - Recherche ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------30
Quelles priorités ? Quelles règles partenariales ? Quelle valorisation des résultats ? 30
- Quels sont les domaines potentiels de recherche ?
-Quels chercheurs ?
- Quelles règles partenariales ?
- Qui finance la recherche ?
- Faut-il hiérarchiser les priorités de recherche et comment ?
- Quelle valorisation des résultats ?
- Quelles améliorations souhaiter ?
Pourquoi certains domaines de recherche sont-ils négligés ? 32
- Quelle place pour la recherche en psychologie gérontologique ?
- Quels cadres de recherche envisager pour lavenir ?
Accompagnement de la personne qui participe à la recherche 33
- Une personne isolée peut-elle participer à un protocole de recherche biomédicale ?
- Quels sont les rôles principaux de laccompagnant dans la recherche biomédicale ?
- Tous les rôles demandés à un accompagnant dans le cadre dune recherche peuvent-ils être tenus par la même personne ?
-Quelles sont les conséquences de larrêt prématuré dun protocole de recherche biomédicale, sur la personne malade
et sur son entourage ?
Problèmes juridiques et éthiques liés à la recherche ? 35
- Qui donne son consentement ?
- Quelles informations fournir et comment ?
- Quelles garanties éthiques la recherche offre-t-elle ?
IV - Projet de soins et contrat de soins ----------------------------------------------------------------------------------------37
Quelle est la spécificité du soin dans la maladie dAlzheimer ? 37
- Quels sont les problèmes éthiques spécifiques liés à lexistence de troubles cognitifs ?
-La maladie expose à un risque important de sentiment dimpuissance et de grand désarroi chez les aidants et les soignants, qui
exposent eux-mêmes à un risque dabandon.
- Ces soins demandent une attention particulière
Quelles sont les spécificités du contrat de soins ? 37
- Quelles sont les personnes engagées dans le contrat de soins ?
- Quels sont les principes généraux du contrat de soins ?
Quelles sont les spécificités du projet de soins ? 38
- Le projet de soins est contractuel, proposé dès lannonce du diagnostic et adapté tout au long du suivi de la personne malade.
- Le projet de soins respecte les dispositifs légaux et est guidé par les bonnes pratiques cliniques gériatriques.
- Le projet de soins est linstrumentalisation du sens à donner aux soins.
- Quel est le cahier des charges du projet de soins ?
Quels sont les objectifs du projet de soins ? 39
-Quels sont ses principaux objectifs ?
- En quoi consiste le volet thérapeutique du projet de soins ?
- En quoi consiste le volet accompagnement du projet de soins ?
- En quoi consiste le volet décision du projet de soins ?
En quoi le projet de soins est-il au service de la vie ? 41
- Il est garant non seulement du droit de vivre, mais aussi celui de « vivre avec les autres ».
- Il est garant de lidentité de la personne
- Il est garant du respect de sa dignité, de son intimité, de sa liberté et de sa sécurité
- Il est garant de la priorité de l'intérêt de la personne malade
- Il tente doptimiser la qualité de vie du patient
Quels défis pour lavenir ? 42
- Comment faire évoluer loffre pour répondre à une évolution des besoins ?
- Quel engagement dans la démarche qualité ?
- Les concepts de bientraitance et de bienveillance, et la lutte contre la maltraitance
- Favoriser le maintien de la vie sociale du malade et lui conserver sa citoyenneté
V - Être toujours en relation lorsque la maladie progresse ----------------43
Vivre à domicile à un stade avancé de la maladie 43
- Quels sont les pré-requis à une vie à domicile à un stade avancé ?
- Quels éléments favorisent le maintien à domicile jusquà un stade avancé ?
- Quelles sont les limites du maintien à domicile à un stade avancé ?
Lentrée en institution est-elle un choix ou une obligation ? 44
- Lentrée en établissement dhébergement est-elle un choix ?
- Comment éviter les situations de non-choix ?
- Quand et comment choisir dentrer en institution ?
Les EHPAD daujourdhui et la maladie dAlzheimer 45 Les EHPAD daujourdhui et la maladie dAlzheimer 45
- Quest-ce quun EHPAD ?
- Les EHPAD sont-ils adaptés à laccueil de personnes atteintes de maladie dAlzheimer ou apparentée ?
- Quels principes éthiques le projet détablissement doit-il respecter ?
-LEHPAD doit-il sadapter ou se spécialiser dans la prise en charge des résidents souffrant de maladie dAlzheimer ou apparentée ?
- Lorganisation est-elle en cohérence avec ces principes ?
- Comment répondre en pratique aux principes éthiques destinés à garantir une qualité de vie ?
- Quelle-est la place des unités spécifiques ?
Etre en relation : persistance dune vie affective et émotionnelle 48
- Les patients conservent-ils une vie émotionnelle et affective à un stade avancé de la maladie ?
- Quelles en sont les implications, en pratique ?
Gérer les situations difficiles 49
- Quest-ce quune situation difficile ?
- Quelles sont les situations difficiles et comment les gérer ?
VI - Fin de vie-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------50
Quelles conditions pour la fin de vie des personnes atteintes de maladie dAlzheimer ou apparentée ? 50
- La période de fin de vie peut-elle ou doit-elle être définie ?
- Quelles sont les spécificités de la fin de vie liées à la maladie dAlzheimer ?
Quelle place pour lexpression du malade ? 51
- Existe-il une expression possible pour la personne démente en fin de vie ?
- Comment accéder au message exprimé par le malade ?
- Quelles conditions pour matérialiser la qualité de ce mode de communication ?
- Comment concilier la parole des professionnels, celle de la famille et celle du malade ?
Quel accompagnement pour les familles et les professionnels ? 52
- Quel accompagnement pour les familles ?
- Quelle formation et quel soutien des personnels pour accompagner la fin de vie ?
- Quel accompagnement pour les professionnels ?
Quelles spécificités cliniques ? 53
- Les personnes atteintes de maladie dAlzheimer ou apparentée nécessitent-elles une approche spécifique ?
- Quels sont les symptômes cliniques qui posent fréquemment des problèmes en fin de vie ?
- Quels sont les problèmes spécifiques liés à la sédation ?
- Comment optimiser la démarche clinique ?
- Quelles sont les conditions de délibération en équipe ?
Acharnement thérapeutique, abandon, euthanasie : quelles dérives ? 57
- Quel bien-fondé pour nos actions en matière de traitement ?
- Quelles dérives ?
Législation de la fin de vie 60
Pour conclure -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------61
Préface
A
A
vec les progrès des sciences et techniques médicales, notre société est de
plus en plus confrontée à des maladies graves chroniques plutôt quaiguës
qui, notamment par leur durée, posent la question du sens. Dans la maladie
dAlzheimer, à cette question sajoute celle de la persistance du sujet en tant
quêtre humain alors que lêtre doué de raison vacille. La question du sens de la
personne humaine requiert une approche et une réflexion éthiques.
Dans la maladie dAlzheimer, la réflexion éthique accompagne toute la durée de la
maladie du diagnostic à la mort. Il y a une exigence de cohérence, de continuité,
danticipation tout au long de ce parcours émaillé de crises difficiles, parfois
douloureuses, tant pour le malade que pour son entourage. Laccompagnement
éthique, cest entrer dans une démarche volontaire, affirmer la permanence de lêtre
humain en toutes circonstances même les plus dégradées, faire le pari du sens au-
delà dun apparent non-sens, comme nous y invite Louis Ploton.
Léthique sert alors de boussole dans les situations difficiles et de cadre de soutien
dans les conflits.
Car léthique est une démarche qui pose davantage de questions quelle napporte de
réponse immédiate ; question sur la place du sujet et sur le respect de la dignité de la
personne humaine. Cest à partir de ces questionnements que peuvent se construire
des résolutions de conflits ou damélioration des pratiques. Comme le rappelle Didier
Sicard, les conflits de valeur qui existent toujours ne peuvent donc être résolus que
par lengagement dune responsabilité consciente, de la nécessité dune équité. On
peut donc, dans un premier temps, rappeler les quatre principes fondamentaux qui
guident la réflexion éthique.
Principes dhumanité et de dignité
Le premier, le principal, est le principe dhumanité, inséparable du principe de dignité.
Toute personne, quels que soient son état, sa situation et son histoire, a une qualité
dêtre humain qui le fait appartenir de sa naissance à sa mort, tous les jours, en toute
circonstance, à la communauté des êtres humains. Homme ou femme, il a une dignité
propre et inaliénable qui en fait un être unique. Kant lénonce dans Fondements de la
métaphysique des moeurs : ce qui a une dignité est ce qui est supérieur à tout prix et
par suite nadmet pas déquivalence. Cette dignité essentielle de la personne est
qualitative et elle ne peut faire lobjet daucune quantification ni comparaison, ni
commerce. Il en résulte ce quil appelle un impératif catégorique : agis toujours de
telle sorte que tu traites lhumanité aussi bien dans ta personne que dans la personne
de tout autre toujours en même temps, comme une fin et jamais simplement comme
un moyen.
Il sagit donc dun principe universel. Mais en même temps, lexistence de chacun
sincarne dans le temps avec un début et une fin et sinscrit dans une histoire, la sienne
propre en relation à celle de ses contemporains. Cette incarnation donne à chacun son
épaisseur humaine. Chacun est le produit de sa propre histoire ; la vieillesse est un
héritage, dit Simone de Beauvoir. Respecter le sujet, cest considérer lensemble des
éléments constitutifs de sa personnalité tels quils ont été, tels quils sont encore
maintenant présents, parfois difficiles à entrevoir. Affirmer la permanence du sujet,
cest prendre en compte ces éléments repérés au travers de lhistoire de vie. Il convient
donc de les recueillir et pour la famille den porter le témoignage, alors quon a
limpression quils disparaissent du souvenir.
8
Ainsi, quel que soit le stade évolutif de sa maladie, cette personne est un être humain
unique qui mérite notre attention et notre respect, tout autant pour ce quil est
aujourdhui que pour les traces de ce quil fut. Le principe de dignité et le principe
dhumanité se complètent à deux niveaux : à un premier niveau, on insistera davantage
sur laspect humanité, le sujet sincarne dans son histoire propre en relation avec
lhistoire de ses contemporains et de la société où il vit. Mais cette histoire qui lui donne
son humanité nest pas ce qui le rend digne. Cette qualité est indépendante des actes
et des attitudes du parcours de vie car à un autre niveau, la dignité et lhumanité sont
un absolu hors du temps propre à chacun.
Cest sur le socle de ce principe dhumanité et ce principe de dignité que peuvent sévaluer
les situations et sengager les actions de soins et daccompagnement de ces malades.
Principe de solidarité
Le deuxième principe est le principe de solidarité. Selon ce principe, les personnes
appartenant à la même communauté humaine sont liées par une responsabilité
collective pour saccorder une aide mutuelle et une obligation de porter assistance à
celui qui est atteint par les aléas de la vie. Il sagit donc dun principe de civilisation.
Il permet de créer le lien social, là où des actions volontaires et réfléchies ont pour but
de corriger les inégalités de la nature. Ce principe est à la base de notre système de
santé. Il garantit le droit de chacun à la protection de sa santé et à une prise en charge
quel que soit son âge ou son infirmité.
Ce principe maintient aussi le lien entre les générations, entre les actifs qui peuvent
produire et les inactifs qui ne peuvent plus participer au système de production en
raison de leur âge ou de leur maladie. Mais notre société moderne est ambivalente.
Elle affirme ses principes de civilisation davantage sur ses performances
technologiques que sur le lien quelle crée entre ses membres. Evidemment, ces
malades peuvent mettre en cause notre société, très tournée vers la performance.
Il sagit de personnes qui nont plus aucune utilité sociale ce qui, en termes de
rentabilité économique, pourrait paraître absurde. La maladie démentielle à un stade
avancé constitue donc un véritable enjeu éthique pour notre société en exigeant de
maintenir ce lien de solidarité. En effet, au-delà des conditions concrètes de prise en
charge de la qualité des soins, la reconnaissance de ces êtres affaiblis par la maladie
est précieuse pour maintenir notre humanité dans son entièreté et pour nous protéger
des dérives où conduiraient les idoles modernes, culte de la performance, culte de la
compétitivité, culte du corps, culte de la rationalité et culte du libéralisme économique
Principe déquité et de justice
Le troisième principe est le principe déquité et de justice. Léquité et la justice nécessitent
pour chaque homme la reconnaissance et le respect de ses droits. Dans le cas
particulier de la maladie, cela requiert un accès au soin, au traitement requis, quelle
que soit sa situation physique, psychique ou économique, et sans discrimination sur
lâge ou le handicap. Cela conduit donc à la vigilance par rapport à lâgisme, ainsi que le
rappelle Robert Moulias. En effet, certaines méthodes diagnostiques, certains soins,
certains services sont peu accessibles simplement en raison de lâge. Ils deviennent
inaccessibles si à lâge sajoute une maladie dAlzheimer. Il faut certainement éviter
dimposer à ces malades des circuits diagnostiques complexes ou des soins lourds sils
nen tirent pas ou peu de bénéfices.
Préface
Il faut certes éviter lacharnement thérapeutique au grand âge, mais les situations
dabandon et dexclusion thérapeutique sont beaucoup plus fréquentes que les
situations dacharnement. Limportant est de bien poser le problème, de prendre des
décisions réfléchies et concertées.
Lorsque ces malades arrivent en fin de vie, il faut apprendre à reconnaître et traiter la
douleur chez ces personnes âgées peu communicantes.
Pourtant, actuellement encore, lorsquon compare les taux de prescriptions antalgiques
pour telle ou telle pathologie grave, on constate à un niveau de pathologie identique
que les malades ayant en même temps une maladie dAlzheimer reçoivent moins
dantalgiques. Ce nest pas que la maladie dAlzheimer endurcirait face à la souffrance,
cela signifie que nous ne savons pas reconnaître la douleur, ou que nous ny sommes
pas attentifs. Il y a donc tout un travail de formation à faire auprès des médecins mais
également auprès des soignants.
Des progrès ont été faits, en particulier en mettant à disposition des échelles
dévaluation non verbales de la douleur qui permettent à la fois de mieux apprécier
cette douleur et de mieux communiquer en équipe pour la prise en charge de ces
malades.
Enfin, appliquer le principe déquité et de justice ne consiste certainement pas à
hospitaliser systématiquement ces patients. Mourir à lhôpital crée souvent des conditions
dune mort difficile pour ces personnes qui arrivent dans des services où les soignants
ne sont pas formés à la prise en charge particulière de la maladie dAlzheimer.
Il y a un apprentissage gériatrique pour apprécier les situations où ne rien faire
constitue une perte de chance et les situations où, au contraire, vouloir faire se
rapproche de lacharnement thérapeutique. Ce savoir-faire gériatrique doit pouvoir
remonter vers les maisons de retraite, vers le domicile pour ne prendre la décision dun
transfert hospitalier quà juste titre. Les équipes mobiles gériatriques allant dans les
EHPAD ou au domicile pourraient aider à ce type dapprentissage pour des décisions
mieux appropriées, dautant plus quactuellement, les EHPAD et les USLD, où le
personnel est un peu plus nombreux, essayent de plus en plus souvent de garder
jusquà la fin ces patients atteints de maladie dAlzheimer.
Principe dautonomie
Enfin, le quatrième principe est le principe dautonomie. Autonomos pour les cités
grecques signifiait quelles se gouvernaient elles-mêmes, selon les lois quelles
sétaient données. Le principe dautonomie exige que chaque individu puisse gouverner
sa vie librement, prendre lui-même les décisions qui concernent aussi bien les grandes
orientations de son existence que les actions quotidiennes.
Appliqué au domaine de la santé, il assure la reconnaissance et le respect de la liberté
du sujet en particulier, face aux choix thérapeutiques qui peuvent lui être proposés.
Quen est-il quand le sujet est réputé incapable de décider ou de choisir, surtout si cela
est juridiquement confirmé par une mesure de tutelle ? Quels moyens prend-on alors
pour connaître quels peuvent être ses souhaits ou sa volonté ? Comment respecter
cette liberté alors que les décisions que nous prenons pour lui sont importantes, car il
sagit souvent de ses conditions dexistence, de son lieu de vie ou de sa fin de vie ?
Deux dispositions législatives récentes permettent de mieux respecter cette volonté du
malade en fin de vie, pourvu quelle ait pu être anticipée et envisagée lorsquil avait
encore les moyens de sexprimer. Il sagit de la loi Kouchner du 4 mars 2002 et de la loi
Léonetti du 22 avril 2005. La première permet de désigner une personne de confiance
qui pourra sexprimer au nom du malade et participer aux décisions le concernant.
La seconde admet la possibilité de rédiger des directives anticipées quant aux types de
soins que lon accepterait et à ceux que lon refuserait si on est devenu incapable de
sexprimer le jour où leur nécessité apparaît.
Dans la loi du 4 mars 2002, larticle 11 sur linformation des usagers du système de
santé-expression de leur volonté Larticle 1111-6 stipule : Toute personne majeure
peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le
médecin traitant et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors détat
dexprimer sa volonté et de recevoir linformation nécessaire à cette fin. Cette
désignation doit être faite par écrit, elle est révocable à tout moment.
La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie stipule dans
larticle 7 : Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas
où elle serait un jour hors détat dexprimer sa volonté. Ces directives anticipées
indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions
de la limitation ou larrêt du traitement. Elles sont révocables à tout moment.
Il sagit là de progrès importants dans le respect de lautonomie de lindividu malade.
Le diagnostic de maladie dAlzheimer est fait de plus en plus fréquemment à un stade
précoce où les capacités cognitives sont suffisamment préservées pour que le malade
puisse faire connaître ses volontés pour le futur. Cela suppose une annonce du
diagnostic claire, avec un soutien permanent et un suivi régulier pour pouvoir envisager
avec le malade lévolution de sa maladie avec anticipation et linciter à désigner sa
personne de confiance, voire rédiger les directives anticipées. Ces deux dispositions ne
sont pas contradictoires, mais plutôt complémentaires, avec une préférence pour la
personne de confiance qui pourra bénéficier des éclairages nécessaires de la part des
médecins pour comprendre le problème dans son contexte et participer au dialogue
pour toute décision thérapeutique difficile.
Lessentiel est de rechercher la volonté ou les souhaits de la personne malade, et le
mieux pour cela est de sadresser à elle, dêtre à lécoute. Cette possibilité de faire
savoir clairement ce que veut le malade reste présente chez lui à un stade beaucoup
plus avancé quon ne limagine dhabitude. Trop souvent, le diagnostic de maladie
dAlzheimer disqualifie la parole de la personne malade.
Et même à un stade très avancé, il persiste toujours une vie psychique. Celle-ci ne
sexprime plus de manière rationnelle et les expressions pertinentes deviennent plus
rares. Par contre, les sentiments et les émotions sont toujours présents. Dans un
grand nombre de situations, il reste toujours possible de rechercher lavis de la
personne, dessayer de comprendre, dêtre à lécoute, sensible aux messages que la
personne transmet par les expressions du visage, le ton de voix, le geste. La personne
malade peut souvent communiquer quelque chose si on apprend à être présent et
attentif aux expressions non verbales, à décoder ses signaux émotifs et ses réactions.
Elle peut nous donner des indications sur ses choix et ses préférences (surtout si les
conséquences sont immédiates).
Toutefois, il peut y avoir danger à vouloir forcer linterprétation pour trouver à tout prix
un sens (qui va forcément dans le sens que je souhaite pour son bien), nous ne
Préface
sommes pas créateurs de sens pour lautre. Avec une certaine qualité découte, nous
ne pourrons être que les témoins attentifs du surgissement éphémère dune présence
qui sexprime par bribes et fragments, et parfois avec une étonnante pertinence
symbolique.
Démarche et recommandation éthiques
Léthique est une interrogation, une inquiétude et un sursaut devant les situations où
la personne humaine est menacée dans sa dignité et celles où linjustice bafoue la
solidarité. Cest cette prise de conscience qui fait dire à Paul Ricoeur que léthique
précède la loi. Mais léthique va aussi se situer en aval de la loi juridique, là où la loi ne
saurait prendre en compte les particularités et les spécificités des situations
individuelles. La loi traite par nature de situations générales et dépersonnalisées. Elle
est hétéronome. Elle impose des contraintes au nom du bien public et sapplique à
tous. Léthique ayant le souci de soi et des autres (Paul Ricoeur), elle va chercher le
meilleur bien pour lindividu. La démarche éthique guidée par ses principes fondamentaux
prend ainsi en considération la situation actuelle de la personne en intégrant
son histoire, sa culture, son contexte de vie, son environnement familial. Ainsi, léthique
ne saurait se résumer à une série de recommandations. Par contre, il est utile pour
aider à une démarche éthique de produire des recommandations qui peuvent éclairer
des situations particulières. Le groupe de travail qui propose ici la synthèse des cinq
colloques Alzheimer : léthique en questions ? a souhaité garder cette forme de
questionnement pour chacune des situations évoquées. Ces questions restent donc
ouvertes et ces recommandations éclairent la réflexion sur un chemin possible.
Sur le parcours de vie dune personne atteinte de maladie dAlzheimer, il y a des
croisées de chemins qui nécessitent plus particulièrement cet éclairage éthique. Quil
sagisse des conditions du diagnostic, de son annonce ou du partage de linformation,
des conditions de vie au domicile ou comment concilier sécurité dune part et liberté
dautre part, de lirruption des professionnels dans la vie du malade et de sa famille
avec linstauration dun projet de soins et dun contrat de soins, des conditions du choix
difficile entre institution ou maintien à domicile lorsque la maladie progresse, des
conditions dentrée dans linstitution, de la gestion des crises lorsque la communication
rationnelle devient très défaillante et enfin, des conditions dans lesquelles se passent
la fin de vie et laccompagnement de fin de vie.
Autant de situations, dinterrogations et de difficultés où le recours au questionnement
et au cheminement éthique est une nécessité.
Pour conclure : un engagement, une aventure, une ouverture
Tout effort, tout travail fait pour rejoindre le malade dans son monde, être à son écoute,
tenter de communiquer, de comprendre ce quil ressent et ce quil veut, est une
attitude qui va dans le sens du respect et de lautonomie de la personne.
Devant ces malades fragiles et vulnérables, la démarche éthique demande un
engagement et une volonté. Elle reste une aventure. Cette démarche éthique nous
invite à entrer dans une démarche de résistance, comme le dit Emmanuel Hirsch, face
au rejet économique et social dont sont victimes ces personnes atteintes dune maladie
dAlzheimer, et dans une démarche de résistance vis-à-vis de la rigidité et parfois de la
maltraitance des institutions.
La démarche éthique est aussi une démarche dhumilité, de reconnaissance et
dacceptation dune certaine impuissance et de notre propre vulnérabilité face à ces
malades très dépendants et parfois déroutants.
La démarche éthique est une démarche dhumanité. Au-delà du handicap psychique et
de la dégradation physique, le malade reste toujours un être humain à part entière, un
homme ou une femme qui assume sa part de notre destinée collective dans le malheur
dune maladie très invalidante. Cet homme et cette femme, malgré ou plutôt au-delà
de la maladie, ne cessent jamais dêtre nos frères en humanité.
La démarche éthique est enfin une démarche douverture vers lamour au-delà de nos
compétences professionnelles. En maintenant envers et contre tout son statut dêtre
humain unique, nous affirmons la complétude de lêtre humain dans toutes ses
dimensions, y compris les plus vulnérables.
Ce sujet si fragile et déroutant nous invite à une vraie rencontre humaine. Cette
rencontre, en nous dépouillant de nos oripeaux professionnels, nous met en présence
dun être humain, dans son altérité si différent et si proche, et cette rencontre, cette
reconnaissance, fait grandir notre humanité commune.
Professeur François BLANCHARD
Plusieurs éléments de cette préface ont été extraits
dun texte remis pour lexpertise INSERM sur la
maladie dAlzheimer et du livre Alzheimer : vous
avez dit démence ? de François BLANCHARD,
Gérard CHEMLA, René DAVAL, Didier MARTZ,
Isabella MORRONE, Jean-Luc NOVELLA,
Elisabeth QUIGNARD, aux Editions Le Bord de lEau.
13
I - Autour du diagnostic
Annonce du diagnostic
LOI DU 4 MARS 2002
article L 1111.2
Toute personne a le droit dêtre
informée sur son état de santé. Cette
information porte sur les différentes
investigations, traitements ou actions de
prévention qui lui sont proposés (
).
Cette information incombe à tout
professionnel de santé dans le cadre de
ses compétences et dans le respect des
règles professionnelles qui lui sont
applicables. (
)
La volonté dune personne dêtre tenue
dans lignorance dun diagnostic ou dun
pronostic doit être respectée, sauf
lorsque des tiers sont exposés à un
risque de transmission.
Les droits des (
) majeurs sous tutelle
mentionnés au présent article sont
exercés (
) par le tuteur. Les intéressés
ont le droit de recevoir eux-mêmes une
information et de participer à la prise de
décision les concernant, dune manière
adaptée (
) à leurs facultés de
discernement (
).
CODE DE DEONTOLOGIE MEDICALE
décret 95-1000 du 6 septembre 1995
Article 33 : Le médecin doit toujours
élaborer son diagnostic avec le plus
grand soin, en y consacrant le temps
nécessaire, en saidant dans toute la
mesure du possible des méthodes
scientifiques les mieux adaptées et, sil
y a lieu, à laide de concours appropriés.
Article 36 : Le consentement de la
personne examinée ou soignée doit être
recherché dans tous les cas.
1 - Faut-il annoncer le diagnostic ?
Oui, il faut annoncer le diagnostic (Loi du 4 mars 2002, Code de déontologie médicale).
Lobjectif est de chercher à dire la vérité à la personne malade. Si elle en est
daccord, le diagnostic sera communiqué à sa famille ou à la personne de son
choix. Ladhésion de la personne au projet de soins et au traitement nest
possible que si le diagnostic a été annoncé. A un stade précoce, les capacités
cognitives de la personne sont suffisamment conservées pour que la
compréhension en soit possible. Il est inconcevable que la personne apprenne
seule le diagnostic en lisant la notice dun médicament.
2 - Y-a-t-il un risque à annoncer le diagnostic ?
Non, sous réserve de traiter préalablement tout état dépressif majeur, par ailleurs
très rare.
3 - A qui annoncer le diagnostic ?
A la personne malade.
-Si le patient est demandeur et sa famille soppose à ce quil connaisse le diagnostic,
annoncer le diagnostic à la personne malade en tenant compte des motifs évoqués
par la famille. Rechercher et analyser les raisons de lopposition de la famille et
tenter de la lever.
-Si le patient présente des difficultés de compréhension du fait du stade avancé de la
maladie, il doit pourtant rester acteur et non simple objet de soins. Cest à lui et pas
seulement à ses proches que le diagnostic doit être annoncé.
A la famille ou à la personne de confiance avec laccord de la personne.
- Le fait daccepter dêtre accompagné à la consultation par cet aidant pourrait signifier
un accord implicite pour ce partage.
-Si le patient est indifférent et nexprime pas de demande, vérifier quil nest pas opposé
à lannonce du diagnostic à sa famille.
-Si le patient refuse que le diagnostic soit communiqué à sa famille, rechercher les motifs de ce
refus et tenter de lever ses réticences en lui expliquant lutilité de partager ce
diagnostic avec un proche de son choix (importance des aides apportées par
lentourage lors de lévolution de la maladie). Si le refus persiste, aborder de
nouveau cette question au cours du suivi.
Aux soignants avec laccord de la personne. Le diagnostic est alors partagé avec tout
soignant amené à prodiguer des soins à la personne, le soignant étant informé des
éléments diagnostiques nécessaires à des soins de qualité.
Au médecin traitant, et rapidement. Il est fortement impliqué par sa proximité avec le
malade. Cette information lui permet de partager lannonce du diagnostic et le suivi.
4 - Qui annonce le diagnostic ?
Un des médecins impliqués dans lélaboration du diagnostic. Le médecin qui a construit
le diagnostic est responsable de lannonce de celui-ci et du suivi ultérieur de la personne.
14
5 - Comment annoncer le diagnostic ?
Lannonce du diagnostic est faite en prenant en compte lhistoire de vie du patient, sa
représentation de la maladie et ses craintes, ce qui peut nécessiter un travail préalable
avec le médecin traitant et la famille.
Lannonce ne se fait pas en une seule fois. Il est souvent utile de répéter à des moments
différents ce diagnostic. Lannonce du diagnostic ne revêt pas un caractère durgence et
peut être délivrée en plusieurs étapes selon la réceptivité de la personne.
Elle ne peut être envisagée en dehors dun suivi du patient, de laidant principal et des
proches 1 .
Dépistage et diagnostic précoce
1 - Quelles maladies dépister et comment ?
Pour quune campagne de dépistage soit justifiée, il faut que la maladie à dépister réponde
aux conditions suivantes :
-il existe un stade pré-symptomatique de la maladie ;
-des outils de dépistage validés sensibles, spécifiques, reproductibles et acceptables
économiquement et éthiquement sont disponibles ;
-le dépistage de la maladie à un stage pré-symptomatique doit modifier significativement
le cours ou les conséquences de la maladie.
La campagne se fait en invitant de façon systématique la population générale ayant lâge
concerné à faire les tests de dépistage.
2 - Le dépistage a-t-il un intérêt dans la maladie dAlzheimer ?
Non, dans létat actuel des connaissances et avec les moyens actuels du système de
santé, le dépistage de la maladie dAlzheimer ou apparentée nest pas recommandé.
Aucune conférence de consensus ne recommande le dépistage (U.S. Preventive Services
Task Force, American Academy of Neurology, Canadian Task Force on Preventive Health Care,
Direction générale de la Santé, Consensus européen sur la maladie dAlzheimer). Les études sur
lintérêt du dépistage dans la maladie dAlzheimer sont peu nombreuses et insuffisamment
pertinentes sur le plan méthodologique.
3 -Le diagnostic précoce a-t-il un intérêt dans la maladie dAlzheimer ?
Oui, le diagnostic précoce est recommandé dans la maladie dAlzheimer, uniquement sil
est accompagné dun engagement de prise en charge. La mise en place précoce de
thérapeutiques, dune prise en charge et dun accompagnement assure une meilleure
qualité de vie aux patients et aux aidants sur un temps plus prolongé, et retarde lentrée
en institution.
Pour la mise en place précoce dune prise en charge adaptée du patient (prise en charge
cognitive, prévention des complications médicales, prévention des conséquences
sociales, désignation par le malade dune personne de confiance, directives anticipées,
protection juridique, traitements, etc.).
DEFINITIONS
Dépistage
Le dépistage consiste à mettre en place
une ou des campagnes dexamens
systématiques en population générale
pour diagnostiquer une maladie à un
stade non symptomatique. Le résultat de
ces campagnes doit ensuite être évalué.
Diagnostic précoce
Le diagnostic est précoce quand il est
fait à un stade pauci-symptomatique
(avec très peu de symptômes) de la
maladie. Il se fait chez des sujets ayant
recours au système de soin (et non par
examen systématique en population
générale), quil sagisse de consulter son
médecin généraliste ou dautres consultations
ou dhospitalisations. Il y a donc
une demande de la part du patient (ou
de son entourage), le plus souvent pour
une gêne ou une plainte mnésique.
1 voir chapitre : Suivi après lannonce du diagnostic
15
I - Autour du diagnostic
Pour un accompagnement familial précoce.
Le diagnostic précoce permet de donner une information plus objective à la famille sur
la maladie, à un moment où le malade est à un stade pauci-symptomatique 1 et
communique encore avec ses proches. Il permet aussi de prévenir lépuisement
familial par la mise en place précoce et progressive des aides et soutiens nécessaires.
4 - Dans quelle population et avec quels outils le diagnostic précoce
doit-il être fait ?
Le diagnostic précoce doit être proposé :
-aux personnes exprimant une plainte mnésique réelle ;
-aux personnes chez lesquelles lentourage remarque lapparition ou laggravation de
troubles mnésiques et/ou un changement psycho-comportemental (apathie,
désintérêt, agressivité, dépression, désinvestissement, changement ou trouble du
caractère, trouble du comportement, etc.) ;
- aux patients venant consulter ou étant hospitalisés pour une pathologie qui peut être
reliée aux troubles cognitifs (chute, accident vasculaire cérébral, perte dautonomie, etc.).
Les outils doivent être simples, sensibles, validés, de passation rapide. Il est nécessaire
dévaluer les fonctions cognitives et lautonomie.
5 - Faut-il annoncer le diagnostic à un stade pré-clinique
(Mild Cognitive Impairment) ?
Oui, le Mild Cognitive Impairment (MCI) justifie un suivi régulier, bien quil demeure
aujourdhui une entité dont les caractéristiques ne sont pas totalement fixées. A défaut
dêtre retenu comme le stade le plus précoce dune pathologie démentielle, il constitue
au moins un facteur de risque important dévolution défavorable et doit être explicité
comme tel au patient.
6 - Quels sont les freins au diagnostic précoce ?
Les freins sont multiples, dordre à la fois social et médical :
-La maladie est encore parfois méconnue : banalisation des symptômes rapportés à
lâge, par la personne et son entourage, voire par les médecins ; sensibilisation et
formation des médecins encore insuffisante.
-Elle est encore une maladie tabou, qui fait peur. Elle est source dexclusion, de
rupture des liens sociaux.
-Autres facteurs : âge avancé, isolement social, précarité, déficit sensoriel, polypathologie
qui masque les symptômes, etc.
7 - Quels sont les moyens daméliorer la précocité et la qualité
du diagnostic ?
Informer la population sur la maladie dAlzheimer (par des campagnes dinformation
grand public ou ciblées) afin de changer limage de la maladie.
Améliorer la formation, initiale et continue, des médecins généralistes et spécialistes,
et des formateurs médicaux et paramédicaux.
Développer des partenariats entre professionnels concernés (complémentarité des
compétences).
Favoriser le repérage des premiers symptômes par le médecin généraliste, par une
évaluation cognitive initiale, à la suite de laquelle il peut adresser le patient à bon
escient vers une consultation spécialisée.
Maintenir le principe du libre choix du patient et de sa famille et la possibilité dun accès
direct à une consultation spécialisée, car certains médecins refusent dadresser les
patients, croyant que les pertes de mémoire liées à lâge sont inéluctables.
Génétique et hérédité
1 - Le dépistage génétique a-t-il un intérêt ?
Non, en létat actuel des connaissances, le dépistage génétique ne présente aucun intérêt.
2 -Quel peut être lapport de la génétique pour établir un diagnostic ?
En pratique courante, en dehors des cas génétiques familiaux, la génétique na aucun
intérêt diagnostique. La présence de lallèle epsilon 4 du gène de lAPO-E, associée à
une augmentation du risque de développer une maladie dAlzheimer, napporte rien en
termes de diagnostic par rapport aux tests neuropsychologiques.
3 -Que proposer lors de la survenue dune forme génétique familiale ?
En cas de forme génétique familiale de maladie dAlzheimer, une consultation génétique
doit être proposée.
4 - Que proposer à une famille dont plusieurs membres sont atteints ?
Il peut être proposé aux membres par ligne directe dune telle famille de bénéficier
régulièrement dune consultation de repérage des troubles cognitifs, en adaptant le
rythme du suivi à lâge de début observé dans lhistoire familiale.
5 - Quand faut-il aborder la notion dhérédité ?
GENETIQUE - RAPPELS ET DEFINITIONS
Les formes familiales se définissent
par la présence dau moins 50% de
personnes atteintes par génération,
sur trois générations, la maladie
débutant avant 50 ans. Elles représentent
2% des cas de maladie
dAlzheimer. Dans ces cas, une
mutation génétique est responsable de
la maladie.
Dans plus de 90% des cas, le risque de
développer une maladie dAlzheimer
est attribuable pour moitié à des
facteurs génétiques et pour moitié à
des facteurs environnementaux (âge,
hypertension artérielle, etc.), dont la
plupart restent inconnus.
A ce jour, le seul facteur de risque
génétique reconnu est le gène de
lapolipoprotéine E (APO-E).
Cette notion sera abordée dans le cadre du suivi et, bien évidemment, sur demande des
personnes apparentées.
6 - Quels sont les pistes de recherche et les résultats attendus ?
Les progrès de la génétique feront évoluer les critères de dépistage, de diagnostic et
de traitement de la maladie.
Le prélèvement de cerveau sur les personnes décédées permet de confirmer ou
infirmer un diagnostic. Il est essentiel à tout projet de recherche sur la maladie
dAlzheimer. Les progrès de la génétique dépendent fortement de ces dons, qui
pourraient être encouragés. 1 avec très peu de symptômes
17
I - Autour du diagnostic
Diagnostic à un stade évolué de la maladie
1 - Le diagnostic à un stade tardif a-t-il un intérêt ?
Oui, car connaître le diagnostic, même à un stade tardif, permet une meilleure prise en
charge. A tous les stades de la maladie, au domicile comme en EHPAD, une prise en
charge médico-psycho-sociale est possible 1 .
Oui, car le diagnostic soulage souvent les proches en leur permettant de mettre des
mots sur leur expérience passée et présente.
2 - Lannonce du diagnostic à un stade tardif a-t-elle
des particularités ?
Oui, du fait des troubles cognitifs et des difficultés de communication du patient.
Annoncer le diagnostic à ce stade nécessite une écoute particulière du patient, un choix
soigneux des mots et une prise en compte de ses capacités de communication.
Oui, car le diagnostic est alors souvent annoncé lors dune situation de crise, notamment
à loccasion dune hospitalisation en catastrophe, et donc dans un contexte de stress
important, de fatigue, voire de burn-out de laidant principal. Faute dun accompagnement
antérieur, des décisions souvent difficiles et douloureuses pour le patient et
sa famille doivent alors être prises dans lurgence.
Suivi après lannonce du diagnostic
1 -Lannonce du diagnostic doit-elle être accompagnée ?
Oui, lannonce du diagnostic doit toujours être accompagnée. En effet, la survenue de la
maladie est un choc émotionnel pour le patient et pour ses proches, qui se concrétise
lors de lannonce diagnostique et qui sinscrit dans un contexte de stress et
dinquiétude. La qualité de la relation, lors de lannonce, influera sur la qualité du suivi
du patient et de la famille.
En annonçant le diagnostic, le médecin sengage vis-à-vis du patient et de son entourage
proche : il les accompagnera et assurera un suivi durant toute la maladie.
Lannonce du diagnostic saccompagne systématiquement dune proposition de projet de
soins pour le malade et daccompagnement, pour lui et à sa famille 2. La présentation
déléments positifs vis-à-vis de lavenir (effets positifs des traitements, existence de
programmes de prise en soins) est rassurante.
2 - Comment sassurer de la compréhension du diagnostic
et du projet de soins par le patient ?
Savoir accepter le malaise potentiel qui suit lannonce et respecter le silence du patient.
Explorer le vécu, la perception, les représentations qua le patient de sa maladie et de
ses troubles (expériences antérieures dans la famille ou lentourage) car ils sont autant
de facteurs qui peuvent soit freiner, soit favoriser la bonne compréhension du diagnostic
et ladhésion au projet de soins. Cela permet aux soignants de comprendre le point de
vue du patient et de son entourage : Il nest pas fou, il ne perd pas la tête, mais il
souffre dune maladie neurologique.
Etre loyal et toujours dire les choses en présence du malade. Ne rien dire qui ne soit vrai
et ne pas supprimer tout espoir 3 .
Prendre son temps, révéler la vérité par étapes, sans précipitation, permet de ne pas
générer de situation de rupture et datténuer les bouleversements affectifs. Il ne faut
pas submerger le patient dinformations et dexplications dès la première consultation.
Privilégier léchange oral pour informer le patient et ne pas se contenter de remettre des
documents écrits.
Aménager des temps spécifiques pour le patient, pour laidant et pour le couple
patient/aidant. La prise en soins du patient étant pluridisciplinaire, ces temps spécifiques
peuvent être assurés par les différents professionnels de santé qui y participent.
Développer les réseaux autour des consultations mémoire et y inclure les médecins
généralistes. Cela permettra dassurer un suivi plus solide, plus proche et personnalisé,
et évitera les retours intempestifs ou trop rapides vers les consultations mémoire.
3 - Comment sassurer de la compréhension du diagnostic
et du projet de soins par la famille et les proches ?
Le soignant doit consacrer une attention particulière à ceux qui assurent le rôle daidant
naturel. La rencontre avec la famille demande un temps de dialogue, un temps de
1 voir chapitre : Projet de soins et contrat de soins
symbolisation de son histoire.
2 voir chapitre : Projet de soins et contrat de soins
Le temps de la consultation peut se prolonger en donnant un numéro de téléphone de 3 B. Hoerni. Information et consentement. Bull Acad
recours (numéro dun professionnel identifié plutôt quun numéro vert anonyme). Natl Med 1998;182:545-550.
19
1 voir encadré Législation
II - Etre malade
et vivre à domicile
Tant que le patient a encore sa raison,
comment peut-il prévoir son avenir ?
1 - Faut-il favoriser lexpression de la volonté de la personne
malade ?
Oui, pour préserver et respecter au mieux la volonté de la personne malade, notamment
en prévision de la période où elle ne sera plus en état dexprimer cette volonté et afin
de ne pas reporter alors tout le poids des décisions sur dautres. Après le choc de
lannonce dun diagnostic difficile, permettre à la personne malade dexprimer sa
volonté et ses choix de vie est une manière de lui signifier quelle est une personne à
part entière et quelle le restera jusquà la fin.
Limportance donnée à la faculté de choisir prime les moyens.
2 - Quels sont les moyens dont la personne âgée dispose pour
exprimer sa volonté ?
Les directives anticipées ou testament de vie (loi du 4 mars 2002) 1 .
La désignation dune ou de plusieurs personnes de confiance (loi du 4 mars 2002)1 .
La gestion des biens peut être organisée sur demande de la personne malade (de
préférence par mandat déposé chez un notaire). Elle peut choisir la personne chargée
de gérer son patrimoine.
3 - Qui est la personne de confiance et quels sont ses engagements ?
La personne de confiance est désignée par le malade, qui a la possibilité de réviser ce
choix à tout moment. Elle peut être un proche ou le médecin de famille. Mais le malade
peut aussi répartir les tâches entre plusieurs personnes selon les centres dintérêt et
les compétences de chacune (gestion du patrimoine, vie quotidienne, santé, etc.).
La personne de confiance doit donner son accord et ne sera pas rémunérée pour sa
mission.
La personne de confiance est proche de la personne malade. Elle connaît bien son
histoire de vie, ses valeurs personnelles. Elle est donc capable de lui apporter le
soutien affectif nécessaire, de laccompagner, dêtre son porte-parole au fur et à mesure
de lévolution de la maladie, et de sassurer, sil y a lieu, du respect des directives
anticipées, dont elle peut être le dépositaire.
En cas de demande de protection juridique, le juge nest pas tenu de nommer la
personne de confiance comme tuteur.
20
4 - Quelle place donner aux directives anticipées ?
Les directives anticipées sont un des moyens dont dispose la personne malade pour
exprimer et faire respecter ses volontés, ses choix de vie et de fin de vie et, ainsi, rester
acteur de sa propre vie jusquau bout. Elles doivent être exprimées par la personne elle-
même, aidée, si elle le souhaite, par la personne de confiance ou tout autre individu de
son choix. Elles doivent être stipulées par écrit, voire déposées chez un notaire, et sont
modifiables à tout moment. Les proches peuvent être informés de ces directives sur
demande de la personne. Elles sont une invitation au dialogue avec les proches et les
professionnels qui suivent la personne malade.
Plus les instructions inscrites dans une directive anticipée seront précises et détaillées,
sans ambiguïté dinterprétation, mieux les équipes de soins pourront les appliquer.
Elles peuvent mentionner :
-les valeurs philosophiques, religieuses et culturelles de la personne ;
-les personnes admises ou non dans lenvironnement proche de la personne ;
-le choix des professionnels ;
-le choix du lieu de vie et le choix de létablissement daccueil sil y a lieu ;
-le choix du tuteur pour la gestion des biens et du patrimoine ;
-lautorisation ou non de recourir à certaines techniques de soin (dialyse, sonde de
nutrition, gastrostomie, etc.) ;
-les souhaits quant aux traitements et à la fin de vie ;
-les modalités des obsèques ;
-le désir éventuel de faire un don dorganes et/ou un don du corps à la science.
Elles ne peuvent pas tout prévoir. Elles ne doivent donc pas être considérées comme
figées et simposer sans possibilité de remise en question. Il sagit bien dune
expression relative à un moment donné, le malade pouvant évoluer dans ses choix au
fil de lévolution de la maladie. Des révisions doivent être possibles, tant de la part de la
personne que de celle de son entourage ou des professionnels si les désirs, les
injonctions du passé sont devenus impossibles à tenir.
Comment concilier sécurité et liberté à domicile ?
1 - Les limitations de liberté de la personne malade peuvent-elles se
justifier ?
Oui, si la personne malade, présentant des incapacités manifestes, représente un danger
pour elle-même ou pour les autres. Ce risque doit, dans un premier temps, être repéré
et évalué. Selon les cas, il peut justifier une limitation de la liberté de la personne, qui
sera strictement adaptée à ce risque.
2 - Peut-on convenir dun niveau de risque acceptable ?
Le niveau de risque acceptable (ou le seuil de tolérance) varie en fonction des valeurs
de chacun (notions de tolérable ou dintolérable, de danger, datteinte à lintégrité de la
personne), des situations et de lhistoire de la relation. Pour les aidants familiaux, par
exemple, il variera en fonction du déni ou non des troubles, des difficultés du malade.
Apprécier le danger réel pour chaque situation à risque (par exemple, comportement
adapté ou non pour traverser les rues, aide possible de la part des commerçants et des
voisins, etc.).
II - Etre malade et vivre à domicile
3 - Qui met en place ces limitations de liberté ?
Si besoin, ne pas hésiter à faire intervenir un tiers dans la relation patient/aidant pour
dédramatiser, permettre de prendre du recul, réévaluer, proposer de nouvelles aides
avec des objectifs réalistes. En effet, à partir dun certain stade évolutif de la maladie,
et notamment lorsque la personne vit seule, léquilibre bénéfice/risque est parfois
difficile à trouver.
A un stade avancé de lévolution de la maladie, du fait du handicap et de la réduction
dautonomie, certaines décisions sont imposées à la personne (arrêt de la conduite
automobile, aide à la gestion du budget, voire entrée en institution). De telles décisions
doivent être réfléchies, au mieux collectivement, avec lentourage et les soignants, de
façon interdisciplinaire.
Les décisions difficiles sont prises en équipe, avec lentourage, les professionnels
intervenant à domicile, voire léquipe hospitalière. Certains choix peuvent savérer
difficiles car ils doivent concilier lautonomie restante et la sécurité chez une personne
devenue anosognosique 1 .
4 - Quelle place donner à la parole du malade dans ces décisions
de restriction de liberté ?
1 Personne qui na pas conscience de sa maladie
et/ou de ses troubles
Chaque fois quest envisagée une restriction de liberté, elle doit, dans la mesure du
possible, être discutée avec la personne malade et consentie par elle, même si elle nen est
pas à linitiative. Il sagit de lui permettre des choix et des risques, qui doivent être
acceptés par lentourage et les professionnels.
Quand la personne malade nest plus capable de participer à la décision ni de communiquer,
une bonne connaissance de sa personnalité, de ses valeurs de vie permet de proposer
des choix adaptés. Certains éléments de la vie quotidienne ont pour certaines personnes
une valeur symbolique très forte (clefs, argent, chéquier, carte bancaire, etc.) quil ne faut
pas négliger. Il faut associer la personne malade aux discussions en évitant de la mettre en
situation déchec, lui dire la vérité sur les changements apportés, expliquer et répéter,
en tenant compte de la symbolique du langage.
En cas de difficulté, il est souhaitable de recourir à une tierce personne (médiateur ou
personne de confiance), notamment pour faire respecter les choix de la personne
malade.
5 - Quelles limitations de liberté sont envisageables ?
Lidéal est dencadrer plutôt que de restreindre.
Rester vigilant car certaines interventions décidées dans loptique de bien faire peuvent
devenir invasives, porter atteinte à lintimité et à la pudeur de la personne malade,
développer chez elle des idées de persécution et entraîner une surcharge émotionnelle
et affective très forte (aide à la toilette, confiscation des clefs de la voiture ou de la
maison, etc.).
A domicile, des mesures plus ou moins contraignantes visant à protéger et préserver la
personne malade sont possibles :
-aménagement du cadre de vie : suppression du gaz, aménagement de léclairage,
sécurisation des fenêtres en étages, fermeture du jardin, digicode ;
-aménagement des conditions de vie : gestion des sorties, de largent, prévention de
lisolement social ;
-organisation de la circulation dans le domicile pour éviter les accidents et
lenfermement ;
-mise en place daides pour les besoins élémentaires : prise de médicaments,
toilette, alimentation (surveillance des denrées alimentaires), tout en respectant les
habitudes antérieures.
Les mesures de protection juridique.
Dans un second temps et le plus souvent à un stade déjà évolué de la maladie, des
mesures de protection juridique peuvent être mises en place. Même si elles sont
nécessaires, elles peuvent être vécues comme une privation arbitraire de liberté
(retrait du carnet de chèques, perte des droits civiques, etc.) par la personne malade.
Par ailleurs, elles nempêchent pas dinformer le malade de toute décision le concernant
et de tenir compte de son avis, dans la mesure du possible, notamment dans trois
domaines importants : la vente de biens, le consentement aux soins, le choix du lieu de vie.
Le travail des professionnels en interdisciplinarité peut permettre de donner un cadre
construit à certaines restrictions de liberté
6 - Quelle liberté pour les aidants familiaux ?
Laccompagnement au quotidien dun parent souffrant de maladie dAlzheimer ou
apparentée est souvent vécu comme une limitation de liberté, ne permettant plus de
vaquer aux diverses activités antérieures, limitant les relations sociales.
Proposer des aides, des solutions de répit permet de leur redonner une certaine liberté.
Déplacement dans la cité :
quelle liberté pour quelle sécurité ?
1 - Quest-ce que la liberté de déplacement ?
Pour un citoyen, être libre de se déplacer dans la cité signifie pouvoir se rendre où il veut,
quand il veut, de façon autonome.
2 - A quels risques expose la maladie dAlzheimer, si cette liberté est
respectée ?
Risque daccident
-Que la personne conduise sa voiture ou se déplace à pied, les altérations cognitives
liées à la maladie lexposent à un risque daccident supérieur à celui strictement lié
à lâge1 .
-La conduite automobile dun patient atteint de maladie dAlzheimer représente un
risque potentiel accru pour lui-même et pour les autres, du fait de laltération des
facultés dattention, des praxies et des fonctions visuo-spatiales. La planification des
tâches devient difficile, notamment en cas dimprévu, en situation durgence. Ce risque
est pourtant atténué par le fait que le conducteur âgé réduit souvent spontanément
son exposition aux risques (diminution du nombre de kilomètres parcourus,
restriction des déplacements aux trajets courts et/ou familiers, conduite
uniquement de jour et en dehors des heures de pointe). Certaines personnes même
atteintes de démence légère conservent une conduite sûre.
Risque de perdre son chemin.
1 Fitten LJ et al. Alzheimer and vascular dementias
and driving. A prospective road and laboratory study.
JAMA 1995;273:1360-1365.
Duchek J et al. Longitudinal driving performance in
early-stage dementia of the Alzheimer type.
J Am Geriatr Soc 2003;51:1342-1347.
23
II - Etre malade et vivre à domicile
3 - Comment tenter de réduire les risques liés au déplacement
dans la cité ?
Améliorer la tolérance de la société vis-à-vis de certains comportements erratiques,
et encourager les citoyens à aider les personnes désorientées (éducation citoyenne).
Dune façon générale, une véritable éducation de lautomobiliste serait nécessaire,
même si la notion de priorité des piétons, y compris en dehors des passages protégés,
est discutable.
Recourir à certaines technologies :
-Certains outils permettent de limiter les déplacements (digicode, écran tactile
), en
empêchant les sorties non accompagnées.
-Certaines technologies sont facilitantes. Le GPS, par exemple, pourrait permettre de
sécuriser le déplacement des personnes désorientées sans les stigmatiser.
Se méfier de certains moyens techniques (caméra, bracelet électronique, puce de
surveillance, etc.) qui peuvent constituer de véritables outils de privation de liberté,
même si lintention initiale est présentée comme un progrès technique ou une intention
bienveillante. Leur utilisation impose une réflexion éthique préalable.
Toujours avertir la personne malade des moyens utilisés et des buts recherchés, et lui
garantir la possibilité de refuser.
4 - Comment tenter de réduire les risques spécifiques liés à la
conduite automobile ?
Le copilotage est une solution pertinente. En effet, si les réflexes de conduite restent
longtemps gérés par la mémoire procédurale, la présence du copilote permet
danticiper les difficultés et dobserver le comportement, en situation, de la personne
malade.
Aider le conducteur par des améliorations de la signalétique routière et urbaine,
voire des aides techniques dassistance à la conduite (sujets de recherche possibles).
5 - Peut-on envisager un dépistage des difficultés et des adaptations
du permis de conduire ?
Oui, des adaptations du permis de conduire sont envisageables mais se heurtent aux
difficultés dévaluation des capacités du patient. Les tests cognitifs utilisés en pratique
courante sont peu adaptés au dépistage des difficultés interférant avec la conduite
automobile. Il existe une différence entre aptitude et comportement. Les fonctions
altérées, notamment praxiques, seront mieux explorées par une mise en situation, par
des professionnels (moniteur dauto-école), en insistant sur la gestion des tâches
imprévues (conduite en condition réelle ou simulateur de conduite).
Plusieurs propositions peuvent être envisagées :
-Permis gradué (à linstar du permis bateau), en fonction des capacités observées,
autorisant des distances plus ou moins longues et selon les conditions de trafic.
-Examen systématique obligatoire mais qui ne devrait alors pas dépendre de la seule
condition dâge (discrimination).
-Contrôle des aptitudes à la demande du patient.
6 - Peut-on empêcher un malade de conduire ?
Quel est le rôle du médecin ?
Oui, certaines situations deviennent objectivement dangereuses et la conduite doit être
alors vivement déconseillée. Les situations de déni absolu des troubles, relativement rares,
doivent être gérées individuellement.
Le rôle du médecin :
-Mission de conseil, de soutien et daccompagnement auprès du patient et de son entourage.
Largumentation est consignée par écrit dans le dossier, transmise le cas échéant
aux autres acteurs de santé concernés, et, au besoin les conseils sont signifiés par
écrit au patient.
-Le médecin nest pas tenu de rédiger un certificat médical imposant larrêt de la conduite
automobile, car ce nest pas son rôle.
7 - Quelles alternatives à la conduite automobile ?
Il existe le plus souvent des alternatives à la conduite automobile, qui dépendent
fortement du lieu de vie du patient (milieu urbain ou rural) et du tissu social dans lequel
il évolue.
Les transports en commun constituent une alternative à la conduite automobile. Il
faudrait pourtant envisager des adaptations pour les personnes atteintes de troubles
cognitifs, comme cela a été fait pour le handicap physique. Il serait utile de réfléchir
avec les professionnels du transport sur leur perception du problème et sur les
solutions envisageables.
Des services de transport privés (mini-bus, taxi à la carte, etc.) sont proposés dans
certains endroits.
Place de lentourage familial dans
la prise en charge
1 - Quel est le rôle de la famille dans la prise en charge ?
Le rôle des aidants familiaux est celui quils veulent ou peuvent se donner. Pour
lentourage, lirruption de la maladie et du malade nest pas toujours perçue comme
une obligation nouvelle, un devoir à remplir. Aussi faut-il bien distinguer la contrainte à
laquelle on doit céder et lobligation, de nature morale, quon choisit ou non de remplir.
Au domicile, de façon générale, la famille fournit la grande majorité de laide et
constitue le pivot du réseau de soutien, informel (familles et proches) et formel (aides
professionnelles). Le réseau daides informelles se constitue selon des règles tacites,
des logiques familiales et relationnelles modulées par laffectivité, la proximité,
lhistoire familiale, la réciprocité et le sens du devoir.
La prise en charge familiale repose classiquement sur une seule personne (aidant
principal), le plus souvent le conjoint ou la fille, et ce, même si le réseau daidants
potentiels est dense. Cet aidant familial principal est une femme dans les trois quarts
des cas. Les hommes assurent plus facilement le rôle daidant secondaire ou de coaidant.
II - Etre malade et vivre à domicile
2 - Les familles sont-elles des soignants ?
Pour certains actes de la vie quotidienne et si elles le souhaitent, les familles peuvent
apporter des soins, sous réserve dêtre capables de reconnaître leurs limites et daccepter les
conseils de professionnels.
Classiquement, on distingue les aides informelles, assurées par la famille et les
proches, et les aides professionnelles. En pratique, la répartition des tâches est
relativement floue et très dépendante des ressources locales et financières,
notamment pour la toilette, les changes, laide à lalimentation.
3 -Quels sont les facteurs de risque dépuisement de laidant familial ?
Les facteurs prédictifs dépuisement sont bien identifiés et doivent être recherchés, car
il est difficile pour laidant de prendre conscience de ses limites :
-la désignation implicite dune personne comme aidant principal potentiel du fait
dune plus grande disponibilité supposée : enfants célibataires et/ou nayant pas
dactivité professionnelle, proximité géographique ;
-lâge avancé et létat de santé précaire de laidant ;
-une situation conflictuelle avec les autres membres de la famille ;
-lisolement avec sensation denfermement dans le rôle daidant et de restriction de
la vie personnelle ;
-lambition de vouloir tout faire et tout normaliser, parfois en rivalité avec les soignants ;
ou alors, à trop vouloir masquer ou se cacher la réalité de la maladie, certains aidants
ont du mal à admettre leurs besoins, à accepter pour leur parent une aide à domicile ;
-lincapacité de se projeter dans lavenir, devant laggravation progressive de létat de
santé de son parent, avec un sentiment dimpuissance et/ou de culpabilité ;
-les traumatismes provoqués par linversion des rôles parent/enfant et par la non-
reconnaissance des proches par la personne malade ;
-lambivalence entre désir de vie et désir de mort ;
-le sentiment de honte face aux comportements de son parent qui échappent aux
normes ;
-le ressentiment face à des conduites inadaptées du parent malade, ne correspondant
pas à sa personnalité antérieure ;
-un temps important de présence quotidienne consacré à laide alors que la prise en
charge dure depuis plusieurs mois, voire des années ;
-le deuil anticipé dune personne pourtant toujours vivante ;
-les problèmes matériels, notamment un habitat inadapté.
Certains symptômes et attitudes de laidant sont des signes dalerte dun risque
dépuisement :
-tristesse, anxiété, pleurs, découragement ;
- diminution des activités sociales et de loisirs et rupture progressive avec lentourage
amical, avec le voisinage ;
- fatigue ;
-accumulation de petits problèmes de santé ;
-agressivité, irritabilité ;
-repli sur soi ;
-mauvaise qualité du sommeil.
Le rôle de tout professionnel de santé est de prévenir et de repérer ces situations,
daider laidant à prendre conscience de son épuisement, des risques pour sa santé et
pour celle du patient. Lépuisement de laidant est un facteur de risque majeur de
maltraitance de la personne malade. Le soignant doit proposer des réponses, de façon
concertée avec les autres professionnels, notamment des solutions alternatives
temporaires qui permettent de dépasser des périodes critiques même si elles ne
règlent pas le problème de fond 1 .
4 - Comment agir avec une famille qui refuse dêtre aidée à
domicile ?
En cas de refus daide pour un besoin avéré, lintrusion de professionnels dans la vie
familiale ne peut se justifier quen cas de maltraitance. Les relations entre la famille et le
patient sont inscrites dans une longue histoire et ils sont chez eux à domicile. Le rôle des
professionnels est découter, de conseiller, dexpliquer, danticiper les difficultés.
Jusquoù les aidants professionnels peuvent-ils
se substituer au malade et à sa famille ?
1 - Quelles sont les conditions nécessaires à une intervention
adaptée des professionnels à domicile ?
La qualité de lintervention est garantie par :
-le respect du rôle de chacun des membres de la famille ;
-la formation des intervenants professionnels, le travail en équipe, la coordination des
diverses interventions, le travail en réseau entre le domicile et les institutions ;
-le souci de répondre à lattente de la personne, dans le respect des bonnes pratiques ;
-le respect de la discrétion et de la confidentialité.
Pour répondre à ces critères de qualité, certains pré-requis doivent être respectés :
-interroger la personne malade sur ses souhaits et sa conception de sa qualité de vie
et les respecter, toujours rechercher son consentement ;
-évaluer le contexte économique (ressources propres et familiales, assurances, aides
publiques) ;
-évaluer lautonomie et informer sur les aides possibles en fonction des besoins ;
-apprécier la dynamique et lhistoire familiales, et la conception de la famille de son
propre rôle ;
-identifier laidant principal et les autres aidants, ouvrir le dialogue avec eux pour
intervenir en synergie ;
-rester vigilant afin de limiter les conséquences de lintrusion dans lintimité du domicile ;
-vérifier ladéquation entre la réponse du professionnel et la demande.
2 - Les professionnels et les familles sont-ils concurrents ou
complémentaires ?
Les intervenants professionnels ne doivent pas se substituer à lentourage, mais la
frontière entre les rôles respectifs de chacun est parfois très ténue. Elle doit être
régulièrement redéfinie par le biais du réajustement du projet de soins individualisé. 1 voir chapitre : Projet de soins et contrat de soins
27
II - Etre malade et vivre à domicile
Les rôles respectifs des professionnels et de la famille sont complémentaires, lintervenant
professionnel ayant dabord un rôle technique. Mais, au fil de ses interventions, un lien
dordre affectif se crée avec la personne malade. Cette relation pouvant être bénéfique
pour la personne aidée, il est important que le professionnel sache lidentifier et en définir
les limites (juste distance), tout en tenant compte du désir, du besoin de considération
et daffection de la personne. Ce lien peut engendrer une certaine concurrence avec la
famille, nécessitant un dialogue afin de clarifier les rôles de chacun.
En cas de conflit entre la famille et le professionnel, celui-ci doit en référer à sa
hiérarchie ou à un tiers médiateur.
En cas de conflit intra-familial, les soignants ne doivent pas chercher à le résoudre (pas
de transfert de responsabilité). Ils doivent encourager une thérapie familiale ou un
conseil de famille.
En cas de conflit entre la famille et la personne malade, le professionnel doit garder
une attitude réservée, sauf en cas de maltraitance.
3 - Quels sont les facteurs de risque dune mauvaise qualité
des aides à domicile ?
Isolement de lintervenant professionnel.
Dérive qualitative ou quantitative, par défaut ou par excès, de lintervention
professionnelle par rapport au contrat établi avec le patient et la famille.
Absence de coordination dans la prise en charge, par défaut de transmission des
informations par exemple.
Formation insuffisante des professionnels.
Quelle insertion sociale dans la cité ?
1 - Comment favoriser le maintien de linsertion sociale
des personnes malades ?
Les réponses dépendent de multiples facteurs tels que linsertion sociale antérieure
de la personne malade et de ses proches, le stade de la maladie, le regard que porte
sur elle lentourage familial, le degré dimplication des proches, du voisinage. Mettre en
perspective la vie qui continue avec ses difficultés mais aussi ses richesses, est une
source de bonheur encore possible.
Permettre aux proches de la personne malade de conserver une vie sociale contribue à
une meilleure citoyenneté de la personne malade.
Préserver les liens déjà existants :
-Encourager le patient à sortir dans sa famille, chez ses amis, dans son quartier, son
village et à continuer ses activités antérieures tant que cela est possible (vie
associative, sorties, voyages, etc.).
-Encourager les proches à informer leur entourage des difficultés liées à la maladie,
même si cela leur est douloureux (honte, culpabilité). La difficulté vient en effet
souvent de lentourage (famille et amis) qui évite le malade et espace les relations
par incompréhension, par peur de la maladie ou par lassitude.
-Encourager le malade et ses proches à ne pas limiter les contacts aux seules
personnes vivant la même situation ou dautres situations de maladie ou de handicap,
et notamment favoriser les liens intergénérationnels.
Créer de nouveaux liens et trouver des solutions alternatives adaptées :
-Il est toujours possible détablir de nouveaux liens : lélément fondamental est de
rester en relation.
-Encourager le patient et les proches à oser poser des questions et sinformer sur la
maladie et son évolution auprès des professionnels, ou auprès de structures telles
que les CLIC ou les associations de malades.
Travailler sur les représentations sociales de la maladie pour éviter lexclusion des
personnes malades (dialoguer, expliquer, témoigner), pour rassurer.
-Pour commencer, il faudrait peut-être changer notre vocabulaire en bannissant
certains mots choquants tels que incapables majeurs, dégradation, placement, et parler
plutôt de majeurs protégés, dévolution de la maladie, dentrée en institution, termes plus
respectueux.
-Une campagne nationale dinformation claire et percutante, donnant une image plus
positive de la personne malade pourrait permettre dimpliquer lensemble des citoyens.
-Encourager les malades eux-mêmes à être acteurs du changement du regard de la
société (exemples dactions déjà menées : rédaction douvrage, élaboration dun site
Internet par des malades, etc.).
2 - Quelle citoyenneté conservent les personnes malades ?
Comme tout citoyen, la personne atteinte de troubles cognitifs a des droits lui permettant
de prendre certains risques, de faire des choix, et a aussi des devoirs (par exemple, ne
pas perturber lordre public). Pourtant, on a tendance à minimiser le rôle des malades
dans la vie sociale, à les exclure, à décider en leur nom et à leur place. Force est de
reconnaître que la citoyenneté se décline différemment en fonction du stade de la
maladie.
Au début de la maladie, comment rester citoyen ?
-Regarder la personne comme un citoyen à part entière et non comme un malade.
-Ne pas infantiliser la personne malade ou brusquer des décisions par un trop grand
souci danticipation, qui risque de faire perdre à la personne ses repères.
-Favoriser le maintien de lautonomie de la personne au domicile.
A un stade plus avancé, comment éviter lexclusion ?
-Veiller à conserver à la personne une certaine liberté (activités, déplacements, etc.).
-Eviter de mettre le patient en échec lors de lévaluation de ses potentialités individuelles.
-Adapter lactivité à la personne et non linverse : lui laisser des espaces de choix,
tenir compte de ses envies et de ses goûts, valoriser son intégrité affective et ses
capacités mnésiques restantes.
3 - Comment contribuer à conserver la vie sociale des proches ?
Par un soutien de laidant principal dans le cadre dune prise en charge adaptée et
coordonnée, dune véritable alliance thérapeutique autour du malade. Lisolement, la
souffrance, les difficultés et la constante mobilisation de laidant entraînent un risque
majeur dépuisement, entraînant lui-même un risque dexclusion sociale, de morbidité,
et de maltraitance envers la personne malade.
Offrir aux aidants la possibilité de prendre du temps pour eux, sans culpabiliser (aides
diverses à domicile, accueil de jour ou de nuit, hébergement temporaire, etc.).
Prise en compte de la charge financière supportée par les aidants, en fonction des
besoins générés par la maladie et la dépendance quelle crée (par exemple, le surcoût
généré par les transports itératifs vers les lieux daccueil de jour).
Encourager la reconnaissance sociale du rôle des proches par les politiques, les élus,
les institutions et lensemble de la société.
III - Recherche
Quelles priorités ? Quelles règles partenariales ?
Quelle valorisation des résultats ?
1 - Quels sont les domaines potentiels de recherche ?
Aucun type dapproche ne doit être exclu, tous peuvent sappliquer au domaine de la
maladie dAlzheimer et des syndromes apparentés :
- recherche fondamentale,
- recherche clinique,
-recherche en sciences sociales,
-recherche-action si elle respecte les exigences dune démarche scientifique.
Le traitement de ces maladies nécessite dagir simultanément sur trois champs, la
connaissance de la maladie, les traitements et la prévention (primaire, secondaire ou
tertiaire).
2 - Quels chercheurs ?
Les chercheurs de métier (universitaires, chercheurs travaillant dans des instituts de
recherche), qui sorganisent en équipes dune taille suffisante pour quelles soient
lisibles vis-à-vis des financeurs. Ils travaillent en partenariat avec les autres
chercheurs et les acteurs de la société.
Les soignants qui, au contact des malades, sont confrontés à un questionnement
ouvrant le champ à une expérimentation soignante et vont développer des protocoles
permettant de concevoir des standards de prise en charge qui sont accessibles à
lévaluation.
Toute personne portant un projet de qualité, en dehors des contingences statutaires,
pour autant quelle utilise des méthodes scientifiques pour aborder son objet de
recherche, y compris en lui permettant de sinsérer dans une équipe pluridisciplinaire.
3 - Quelles règles partenariales ?
Les partenariats pour la mise en oeuvre dune recherche doivent seffectuer dans le
respect des intérêts de tous : les personnes malades et leurs aidants, les chercheurs, les
organismes de recherche, les financeurs. Pour ce faire, il faut toujours veiller à éviter les
conflits dintérêt en associant lensemble des partenaires aux résultats de la recherche
et en valorisant les apports respectifs de chacun (temps, argent, compétence).
Transparence du montage partenarial : commanditaires, exécutants, financeurs
(transparence des comptes), objectifs, etc. Quels quils soient, les financeurs doivent
afficher leurs objectifs et leurs priorités, les modalités et les critères de sélection des
projets (jury indépendant, affichage des critères de sélection des projets, équité de
traitement entre les équipes).
Equilibre des obligations de chacune des parties au moment de létablissement dun
contrat de recherche, dune subvention.
Préservation de lindépendance des chercheurs et respect de leurs droits de propriété
intellectuelle.
4 - Qui finance la recherche ?
Diverses sources de financement sont possibles : lEtat, les organismes publics et para-
publics, lindustrie du médicament, de limagerie, du diagnostic et daide à lautonomie,
les associations et les fondations.
5 - Faut-il hiérarchiser les priorités de recherche et comment ?
Nonobstant les logiques institutionnelles propres à chacun des financeurs, la
hiérarchisation des choix des recherches financées doit prendre en compte :
-les règles éthiques et de bonnes pratiques,
-lintérêt du patient et de son entourage,
-la qualité méthodologique et la faisabilité du projet (procédures dévaluation prévues),
-lexistence éventuelle de redondances, du fait du financement de projets dans des
domaines déjà largement explorés.
Il est important de soutenir des projets innovants, qui nécessitent un investissement
initial afin daffiner une hypothèse ou une méthode dapproche qui sera explorée dans
un second temps avec une méthodologie et des moyens plus lourds.
6 - Quelle valorisation des résultats ?
La valorisation des résultats de la recherche doit être faite auprès du plus grand nombre,
sans oublier les personnes malades, sans auto-censure.
Elle est obligatoire, doit être adaptée à lauditoire, rendre compte des résultats
positifs et/ou négatifs, et saccompagne de lidentification des financeurs.
Les financeurs ne doivent pas instrumentaliser les résultats de la recherche en fonction
de leurs propres stratégies institutionnelles ou commerciales.
Il est important, contrairement aux pratiques habituelles, de publier les résultats négatifs.
Cest un devoir éthique, même si ces pratiques ne sont soutenues ni par la politique
éditoriale des journaux ni par lindustrie pharmaceutique.
7 - Quelles améliorations souhaiter ?
Diversifier les domaines de recherche : une représentation plus équilibrée des
différents domaines de la recherche est souhaitable, en permettant aux champs peu ou
mal représentés daccéder à un financement et un accompagnement méthodologique1 .
Donner les moyens à certains chercheurs et aux praticiens menant des recherches-
actions, pour quils puissent accéder à une formation et à une aide méthodologique qui
confèrera à leurs recherches une meilleure cohérence.
Donner du temps à tous ceux qui participent à une recherche (y compris les soignants) 1 voir chapitre : Pourquoi certains domaines
pour ne pas défavoriser ceux dont le travail nest pas centré sur la recherche. de recherche sont-ils négligés ?
31
III - Recherche
Pourquoi certains domaines de recherche
sont-ils négligés ?
1 - Quelle place pour la recherche en psychologie gérontologique ?
Dans le domaine de la maladie dAlzheimer et des maladies apparentées, la recherche
est dominée par le champ biomédical, et plus spécifiquement par une prise en compte
exclusive des capacités cognitives.
La psychologie gérontologique est un domaine très négligé de la recherche. Elle relève
de deux directions théoriques :
-la psychologie cognitivo-comportementale, qui rend possible des approches quantifiées et
donc publiables, mais qui est essentiellement descriptive et facilite labsence de
démarche didentification aux patients. Par ailleurs, il a été démontré que les
stimulations neuropsychologiques non personnalisées et ne tenant pas compte des
déficits spécifiques naméliorent pas les performances cognitives des personnes
atteintes de maladie démentielle ;
-la psychologie subjective, qui concerne les affects, le vécu, les fantasmes et les
rapports complexes entre psyché consciente et inconsciente, en lien avec la question
fondamentale de la préservation de lestime de soi. Un des champs possibles de
cette recherche est lévaluation de limpact pathogène et/ou thérapeutique potentiel
de certaines stratégies de soins et modalités de prise en charge.
Recherche pratique et/ou théorique :
-Dune manière générale, lanalyse des pratiques de prise en charge fait lobjet dune forte
demande de la part des divers acteurs concernés. Ces pratiques doivent être évaluées en
termes de bonnes ou moins bonnes prises en charge. Mais on ne doit pas
sarrêter à leffet vitrine dune opération innovante. Les opinions des membres de
lentourage (familial et professionnel) sur la prise en charge doivent être
confrontées aux effets constatés de cette prise en charge sur le malade.
-Lanalyse des pratiques au niveau le plus concret ne doit pas sacrifier lambition de recherches
théoriques (modélisation, travail sur les concepts). Dune façon générale, cest tout un
champ de recherche sur la vie psychique dune personne atteinte de maladie
démentielle et le vécu de sa maladie qui reste à promouvoir, en miroir du problème
des stratégies thérapeutiques les plus adaptées (ou les moins traumatiques).
Lenjeu en est de trouver des façons de faire qui, au quotidien, présentent une plus-
value thérapeutique parce que psycho-mobilisatrices, et donc de disposer de
théories permettant de prendre en compte le sens et la fonction des symptômes, de
se donner les moyens de les perfectionner, tout en améliorant en permanence leur
application. En institution, lapproche psycho-dynamique concerne lorganisation, le
fonctionnement et les pratiques en son sein, mais aussi les symptômes induits.
2 - Quels cadres de recherche envisager pour lavenir ?
La recherche doit se faire dans une nécessaire interdisciplinarité, de la biomédecine aux
sciences humaines et sociales, sans oublier les aspects psychosociaux.
Les financements consacrés aux recherches relevant des sciences sociales doivent être
augmentés, et rendus autonomes par rapport au domaine biomédical (enveloppes
budgétaires séparées, jurys ad hoc). Mais larticulation entre évolution des savoirs
médicaux et recherche en sciences sociales doit être préservée au sein dinstances
interdisciplinaires.
Il faut impérativement relancer la recherche en psychologie gérontologique, et particulièrement
la recherche conceptuelle, tant sur le plan épistémologique que sur celui de la
modélisation. Lenjeu en est de nous doter dinstruments intellectuels qui nous
permettent de faire des choix cliniques plus pertinents.
Compléter la sémiologie individuelle, groupale, familiale, institutionnelle :
-ne pas rester dans un cadre purement épidémiologique et dévaluation normative,
- orienter davantage les financements vers la recherche sur les aides et services,
-étudier les conditions dinstallation et de diffusion des expériences et des savoirs,
-travailler sur les représentations et sur leur impact sur les comportements et les
pratiques,
-envisager les relations entre les personnes dans leur dimension collective (par
exemple, la décision dêtre responsable dun malade nest pas seulement une affaire
individuelle).
Développer les recherches sur :
-la structuration et lorganisation des aides informelles et professionnelles (écart
entre les représentations et la réalité des pratiques, répartition des tâches et des
responsabilités au domicile et en institution) ;
-les différentes interventions des soignants en institution et leurs déterminants
(évaluation, suivi, diffusion des résultats) ;
-les approches non médicamenteuse dans la prise en soins de la pathologie démentielle ;
-la neuropsychologie et la neurophysiologie des émotions (liens entre les atteintes
cognitives, étiologie des pathologies démentielles et retentissement émotionnel).
Promotion des recherches actions (cadre moins normatif, association des divers
acteurs).
Accompagnement de la personne
qui participe à la recherche
1 - Une personne isolée peut-elle participer à un protocole
de recherche biomédicale ?
Oui, une personne isolée peut participer à un protocole de recherche biomédicale.
Mais, les personnes seules nont pas connaissance de lexistence dune recherche qui
pourrait les concerner. Cela témoigne dune réelle situation dinéquité, et constitue un
biais pour la recherche. La diffusion de linformation sur lexistence des protocoles de
recherche et limportance de la participation des citoyens est un enjeu majeur pour la
société et les progrès de la recherche médicale. Cette information doit être portée par
tous : soignants, associations, pouvoirs publics.
Que faire dans les cas où le protocole stipule la présence dun accompagnant ?
-Plusieurs intervenants de la recherche peuvent contribuer à trouver cet accompagnant
: le médecin investigateur ou le médecin traitant, les professionnels des services
daide à domicile, les bénévoles des associations, etc.
-Les professionnels des services daide à domicile peuvent jouer ce rôle daccompagnant.
-Une information sur ce rôle daccompagnement dans le cadre de la recherche
médicale serait souhaitable dans la formation des professionnels de laide à
domicile pour lever les freins éventuels à lacceptation de ce rôle, qui implique une
responsabilité importante et des contraintes non négligeables.
III - Recherche
2 - Quels sont les rôles principaux de laccompagnant dans la
recherche biomédicale ?
Autorisation de la participation de la personne malade à la recherche, et participation à
la décision dun arrêt éventuel et prématuré de la recherche, dans le cas où les patients
ne sont pas en mesure dy consentir personnellement. Laccompagnant peut avoir été
désigné comme personne de confiance au préalable.
Participation de laccompagnant au protocole de recherche, avec son consentement :
-évaluation du patient (rôle dinformant) ;
-évaluation de lefficacité du traitement sur des critères le concernant directement,
sil est laidant principal (qualité de vie, fardeau, anxiété, temps consacré à laide,
etc.).
3 - Tous les rôles demandés à un accompagnant dans le cadre
dune recherche peuvent-ils être tenus par la même personne ?
Oui, en pratique, une seule et même personne est en général identifiée de façon
pragmatique par le médecin ou léquipe soignante et devra assumer les différents rôles.
Le meilleur informant est celui passe suffisamment de temps auprès de la personne
malade pour juger de létat général du patient, pour détecter certains troubles,
notamment occasionnels, et pour évaluer de façon pertinente lévolution des difficultés
dans la réalisation des activités élémentaires ou instrumentales de la vie quotidienne.
Mais cette proximité, essentielle pour lévaluation, peut aussi introduire des biais dans
les témoignages, en particulier en cas de lien de parenté, de cohabitation, et auxquels les
chercheurs devront rester vigilants.
Laccompagnant peut se faire aider occasionnellement ou systématiquement pour certains
de ses rôles, comme par exemple laccompagnement à une consultation.
Dans le cas où il parait préférable de distribuer les rôles à différentes personnes,
létude du réseau daide présent autour de la personne malade permet didentifier la
personne adéquate pour chacun de ces rôles (rôle dautorisation à la recherche, rôle
dinformant, rôle daidant).
4 -Quelles sont les conséquences de larrêt prématuré dun protocole
de recherche biomédicale, sur la personne malade et sur son
entourage ?
Actuellement, aucune procédure de suivi des répercussions sur le malade et son
entourage nest prévue dans les cas où un protocole de recherche est interrompu
prématurément (efficacité du traitement constatée lors dune analyse intermédiaire,
survenue dun effet indésirable grave, problème économique, etc.).
Dans le cadre des bonnes pratiques cliniques, il faudrait recommander, dans ces cas, un
suivi spécifique de ces personnes, afin dévaluer et prendre en charge les répercussions
potentielles de larrêt du protocole de recherche.
Problèmes juridiques et éthiques liés
à la recherche
1 - Qui donne son consentement ?
La personne malade, tant quelle en est capable. Elle est le premier interlocuteur et
doit être respectée en tant que personne quelle que soit limportance de ses troubles,
tout au long de la démarche dinformation et de recueil du consentement. Aujourdhui,
le diagnostic est posé de plus en plus précocement et donc auprès de personnes qui
sont aptes à consentir.
Laptitude de la personne malade à consentir est évaluée par le clinicien, en sappuyant
idéalement sur des critères décisionnels précis. Des outils daide à la décision seraient
utiles.
Le consentement, si la personne malade nen est plus capable, peut être délégué à la
personne de confiance si elle a été auparavant désignée 1, ou à un tiers. Il convient de
sassurer que cette personne accepte cette charge, y compris dans la perspective dun
éventuel protocole de recherche, en ayant pris connaissance à ce sujet des directives
anticipées du patient.
2 - Quelles informations fournir et comment ?
Fournir au patient une information adaptée à son aptitude estimée à comprendre et à
consentir. Si la personne est considérée comme inapte à consentir, une information
complète ou simplifiée sera remise à un tiers, selon les termes de la loi.
Privilégier un temps dentretien avec le patient, en sadressant à lui avant de sadresser
à laidant.
Essayer de ne pas fractionner linformation et de parler le même langage au patient et à
sa famille.
Laisser le temps au patient et à sa famille de sinformer, de réfléchir, et répéter
linformation autant de fois que nécessaire. Sassurer que le patient a compris de quoi il
sagit, sans sous-estimer ses facultés de compréhension. La bonne adhésion des
patients au protocole minimise le nombre des sorties détude.
Pour éviter les conflits dintérêt, il est proposé que ce ne soit pas le médecin référent
et responsable du soin qui recueille le consentement à la participation à un protocole
de recherche.
Bien différencier soin et protocole de recherche :
-distinguer clairement linformation par rapport aux soins et linformation par
rapport à la recherche ;
-il convient de rassurer le patient sur la qualité des soins qui lui seront dispensés,
quelle que soit sa décision de participer ou non à un protocole de recherche, afin
quil décide en toute liberté et sans contrainte.
Il est recommandé dinformer le patient et de recueillir son consentement pour toute
recherche, même quand il sagit de protocoles dévaluation des soins qui nentrent pas 1 voir chapitre :Tant que le patient a encore sa
dans le champ de la loi. raison, comment peut-il prévoir son avenir ?
35
III - Recherche
3 - Quelles garanties éthiques la recherche offre-t-elle ?
Proposer à une personne de participer à un protocole de recherche exige que le diagnostic
soit connu et lui ait été annoncé. A contrario, lentrée dans un protocole de recherche ne
doit pas être loccasion dannoncer le diagnostic.
La pluridisciplinarité a notamment pour fonction dinterroger les certitudes de lautre.
Dans les pratiques cliniques, les discussions itératives sont nécessaires sur les bénéfices
et les risques de chaque solution.
La méthodologie doit offrir des garanties de rigueur :
-Les objectifs sont en lien direct avec les intérêts de la personne malade et/ou son
entourage. Tous les résultats, positifs et négatifs, doivent être publiés, ainsi que les
résultats complémentaires secondaires.
-La prise en compte de critères de jugement concernant à la fois le patient et laidant
suppose quun arbitrage soit fait entre les conséquences bénéfiques de la recherche
sur le patient et celles observées sur ses aidants. Le cas où il existerait un
antagonisme entre le bénéfice attendu pour le patient et pour laidant (exemple :
nouvel antipsychotique) doit être envisagé.
-Les risques et les avantages sont à considérer tout au long dune recherche, auprès
de la personne malade et des membres de la famille impliqués.
-Les modalités dinformation et de recueil du consentement doivent être clairement
écrites dans un protocole de recherche.
Dans la maladie dAlzheimer, la participation à la recherche peut être en elle-même
valorisante pour le sujet et susciter un sentiment dutilité sociale, ce qui peut être
considéré comme un bénéfice.
Un maximum de précautions pour des protocoles ayant trait aux nouvelles thérapies
est absolument nécessaire. En revanche, on évitera dasphyxier la recherche en
procédant selon les mêmes critères pour des domaines sans risque biologique,
touchant par exemple le domaine de la qualité de vie ou les thérapies relationnelles.
IV - Projet de soins
et contrat de soins
Quelle est la spécificité du soin dans
la maladie dAlzheimer ?
1 - Quels sont les problèmes éthiques spécifiques liés à lexistence
de troubles cognitifs ?
La difficulté à reconnaître la personne malade comme un sujet à part entière, capable
dexprimer ses besoins et ses choix, de comprendre et adhérer à ses soins, dans le cadre
dune relation thérapeutique ;
la difficulté à reconnaître la personne comme un malade devant bénéficier de soins ;
le manque de moyens, humains et financiers, par non-reconnaissance des besoins.
2 - La maladie expose à un risque important de sentiment
dimpuissance et de grand désarroi chez les aidants et les
soignants, qui exposent eux-mêmes à un risque dabandon.
3 - Ces soins demandent une attention particulière.
Pour la personne malade, car les soins sont lourds et complexes. Ils varient selon le
stade évolutif de la maladie et selon le type de troubles ; lanosognosie 1 fréquente doit
être prise en compte.
Pour lentourage, car cest une maladie de la connaissance et de la communication et
qui altère lautonomie ; les conséquences sur lentourage des besoins de soins de la
personne malade sont significatives.
Pour les soignants, car il sagit dune maladie chronique, évolutive, incurable, mais
pour laquelle il y a pourtant tout un ensemble de moyens thérapeutiques à mettre en
place pour diminuer les conséquences de la maladie et de ses complications.
Quelles sont les spécificités du contrat
de soins ?
1 - Quelles sont les personnes engagées dans le contrat de soins ?
Le contrat de soins est habituellement un contrat implicite passé entre un médecin
et un patient. Dans la maladie dAlzheimer, latteinte cognitive risque de mettre ce
contrat en péril ou de le faire carrément oublier. Le contrat peut donc être élargi,
devenant un contrat de confiance, non plus entre deux personnes uniquement, mais
entre un patient entouré de sa famille, et un médecin entouré dune équipe soignante.
Il est important de susciter lintroduction dun tiers tôt dans la prise en charge de la
maladie, par la désignation dune personne de confiance, voire la formulation de
directives anticipées2 .
1 Personne qui na pas conscience de sa maladie
et/ou de ses troubles
2 voir chapitre : Tant que le patient a sa raison,
comment peut-il prévoir son avenir ?
37
IV - Projet de soins et contrat de soins
Elaborer un projet, cest partager des
valeurs explicites pour prendre à pleines
mains, légitimement, un objectif.
Michel Billé
Prendre soin vise, au-delà de la technicité
du geste, à soulager les symptômes,
diminuer la souffrance et donc favoriser
lautonomie et le confort de la personne.
Le prendre soin nécessite compétence,
attention, écoute, tact et discrétion, afin
de préserver le sens et la justesse des
décisions adoptées dans la concertation.
Circulaire ministérielle (mars 2005)
2 - Quels sont les principes généraux du contrat de soins ?
Les acteurs professionnels doivent être sensibilisés à lécoute de la demande du
patient. Si elle nest pas formulée, ils doivent la susciter.
Le contrat engage le médecin à informer progressivement son patient de lévolution
de la maladie et à le guider dans ses diverses démarches.
Le médecin seul ne saurait prendre en charge ce patient au cours de cette maladie
complexe. Avec le consentement de la personne malade et/ou de son représentant, le
médecin doit partager linformation avec les autres professionnels concernés sur les
besoins de soins de la personne et de son entourage dune façon claire, directe et
opportune.
Léquipe élargie doit prendre conscience de limportance et de la nécessité du
respect du secret médical partagé (partage de certaines informations et respect de la
confidentialité pour dautres), et doit avoir une réflexion autour de la confidentialité des
informations reçues (personnes malades, familles).
Quelles sont les spécificités du projet de soins ?
1 - Le projet de soins est contractuel, proposé dès lannonce du
diagnostic et adapté tout au long du suivi de la personne malade.
Il est élaboré avec la personne âgée, sa famille et le réseau de soins, puis adapté en
fonction du stade de la maladie et des réalités de la prise en charge sur le terrain.
2 - Le projet de soins respecte les dispositifs légaux et est guidé par
les bonnes pratiques cliniques gériatriques.
Sadressant à une personne particulièrement vulnérable, il sappuie sur une réflexion
éthique. Il doit en particulier préserver au maximum lautonomie de décision de la
personne recevant les soins et des autres personnes impliquées ou affectées par ces
besoins de soins.
3 - Le projet de soins est linstrumentalisation du sens à donner aux
soins.
Léquipe est unie vers une tâche commune ; dans ce lien interactif, il y a un engagement
personnel éthique sans lequel on perdrait le sens. Il donne un sens au soin en regard
des besoins du malade.
4 - Quel est le cahier des charges du projet de soins ?
Le recueil de données concerne les croyances, la spiritualité, les attentes de la
personne en termes de fin de vie, sa position vis-à-vis de la mort, de ses propres
deuils, de ses peurs, ce qui lui fait plaisir, voire ses directives anticipées. Il est lu devant
léquipe dans le mois qui suit ladmission du malade dans létablissement ou dans le
service de soins à domicile et réévalué tous les six mois.
Le projet de soins tient compte des besoins fondamentaux et plus spécifiques du
malade.
38
La personne référente (IDE, AS ou ASH en EHPAD) est linterlocuteur privilégié pour
recueillir les besoins et les attentes du malade, elle sassure du suivi des actions
décidées en transmissions ciblées et de leur évaluation.
Les transmissions sont un moment de communication dans léquipe pour lorganisation
transversale de la journée, auquel est incorporé un recueil de données ou une
évaluation dune action longitudinale pour un malade donné.
Quels sont les objectifs du projet de soins ?
1 - Quels sont ses principaux objectifs ?
Son principal objectif est de faciliter laccès aux soins à tous les stades de lévolution,
par la mise en place dune prise en charge adaptée, personnalisée et coordonnée du
patient (coordination du parcours de soins) et par une démarche de soutien aux aidants.
Ses objectifs plus spécifiques, limités et raisonnables pour ne pas décourager les aidants,
se répartissent en plusieurs volets : volet thérapeutique, volet accompagnement,
volet décision. Les indications dactivités thérapeutiques, de soins de rééducation et
de soins psycho-corporels sont recherchées en équipe pluridisciplinaire.
2 - En quoi consiste le volet thérapeutique du projet de soins ?
Il sagit de mettre en place un plan daides personnalisé au domicile, en fonction des
capacités restantes, des déficits, des troubles du comportement (prévention de la
dénutrition, soins de toilette et dhygiène, aide à lhabillage, maintien de la continence,
prévention des chutes, etc.).
Il sagit de traiter les troubles cognitifs, la dépression, les troubles du comportement,
les co-morbidités ; prévenir et traiter les troubles alimentaires et la perte de poids.
Il sagit de surveiller et adapter les traitements médicamenteux en prévention de la
iatrogénie.
Il sagit de tenter de contenir les pertes et de limiter la régression (sociothérapie,
psychothérapie, ateliers mémoires, accompagnement psychogériatrique, etc.). La
déprise, cette forme de désengagement progressif de certaines activités, en raison
de la survenue dincapacités, nécessite un soutien social, rôle qui peut être tenu par de
nouveaux professionnels, type médiateur ou case manager.
Il sagit de prévenir et accompagner les crises.
Il sagit dadapter les prises en charge lors dune hospitalisation ou de ladmission en EHPAD.
3 - En quoi consiste le volet accompagnement du projet de soins ?
Laccompagnement du patient consiste à :
-favoriser une stabilité des soignants et des intervenants permettant une relation
personnalisée avec le patient et sa famille, le maintien de la motivation de tous les
acteurs et une alliance thérapeutique ;
-favoriser un partage relationnel et affectif, une bonne communication. Le plan de
soins a une fonction détayage permettant à la personne malade de disposer, dans
son processus de régression, dun point dappui et/ou de réinvestissement ;
-évaluer régulièrement les risques encourus par le patient (liés à son environnement,
ses déplacements, la gestion de ses biens, etc.) et à proposer des mesures appropriées ;
-préparer et accompagner lentrée en institution 1 .
39
1 voir chapitre : Lentrée en institution est-elle un
choix ou une obligation ?
IV - Projet de soins et contrat de soins
1 voir chapitres :Lentrée en institution est-elle
un choix ou une obligation ?, Tant que le patient a
encore sa raison, comment peut-il prévoir son avenir ?
et Fin de vie
Laccompagnement des aidants consiste à :
-permettre aux proches de progresser dans un travail dacceptation de la maladie et
prévenir lépuisement de laidant principal ;
- leur donner les moyens de faire entendre leur plainte et leurs besoins : consultations
spécifiques, soutien psychologique (prise en charge individuelle, groupes de parole),
associations de familles, etc. Il faut laisser le temps aux questions et aux réponses
simples et répétées sans vouloir tout résoudre ;
-informer les familles sur la maladie, ses conséquences, les possibilités daides
matérielles (aides à domicile, accueil de jour, hébergement temporaire, etc.),
financières, de soutien psychologique, juridiques, etc. Les aidants familiaux ont
besoin de répit et y ont droit. Les informer leur permet de choisir ;
-les orienter vers les associations de familles (France Alzheimer). Elles permettent
un échange de vécu entre les familles qui se sentent moins seules. Ce soutien est
très complémentaire de ce que peuvent apporter les professionnels ;
-proposer déventuelles formations pour les aidants, selon les possibilités locales.
Laccompagnement des soignants consiste à :
-soutenir et former les soignants ;
-informer de façon permanente les professionnels sur les avancées de la recherche,
sur les créations ou les modifications des structures, des associations, sur les
nouvelles dispositions législatives. Cet aspect est indispensable à une pratique de
qualité.
4 - En quoi consiste le volet décision du projet de soins ?
Concernant linstitutionnalisation, les limites du soin et les éventuelles décisions darrêt
des investigations et/ou de traitements à visée curative, les décisions se prennent en
équipe, avec les proches, en tenant compte des volontés du patient 1 .
En cas de besoins contradictoires chez le malade, il faut essayer de trouver une
solution acceptable par une discussion en équipe, voire en présence de professionnels
extérieurs à léquipe.
En cas de besoins contradictoires entre la personne malade et son entourage proche, si
une solution simple ne peut être trouvée, il est conseillé dorienter lentourage vers des
collègues pouvant le prendre en charge, en dehors du malade.
40
En quoi le projet de soins est-il au service de la vie ?
1 - Il est garant non seulement du droit de vivre, mais aussi
de celui de vivre avec les autres.
Il en est garant par la mobilisation collective et dans tous les registres de la vie
sociale, des compensations et des adaptations nécessaires de quelque nature que ce
soit (loi du 18 janvier 2005 pour légalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées).
2 - Il est garant de lidentité de la personne.
En prenant en compte son histoire de vie, son contexte familial, ses habitudes de vie,
ses souhaits, son environnement social.
3 - Il est garant du respect de sa dignité, de son intimité,
de sa liberté et de sa sécurité.
4 - Il est garant de la priorité de lintérêt de la personne malade.
Lintérêt de la personne malade prime sur celui de son entourage, quand les besoins
de lun et de lautre ne se confondent pas.
5 - Il tente doptimiser la qualité de vie du patient.
Même sil est difficile de définir sa qualité de vie pour quelquun dautre, il est
impérieux de repérer et identifier les réactions émotionnelles du patient (plaisir,
satisfaction, colère, peur, joie, tristesse, etc.), qui guident lévaluation de la qualité des
conditions de vie qui lui sont proposées.
IV - Projet de soins et contrat de soins
Quels défis pour lavenir ?
1 - Comment faire évoluer loffre pour répondre à une évolution
des besoins ?
Il faudrait des personnels en nombre suffisant, spécifiquement formés et socialement
valorisés. Il faudrait donc :
-élaborer un programme national de formation des personnels au contact de
personnes souffrant de maladie dAlzheimer, dont une formation à lobservation et à
la relation ; développement dune culture Alzheimer, base de connaissances
communes à tous les intervenants ; insister sur la complémentarité des compétences ;
-impliquer les personnels soignants dans la recherche.
Il faudrait multiplier les lieux adaptés et spécialisés :
-proposer des adaptations du domicile ou des substituts du domicile, intégrant des
espaces de déambulation protégés, sécurisés et profitant des progrès de la
domotique ;
-proposer des ateliers thérapeutiques en institution ;
-développer laccueil de jour et laccueil temporaire en structure adaptée.
Il faudrait développer de nouveaux métiers : médiateur, coordonnateur, garant de projet,
référent, case manager.
Il faut envisager le recours aux nouvelles technologies qui peuvent être utiles pour
prendre en compte les situations disolement et de risque 1 .
Il faudrait améliorer lévaluation et la transmission des données.
2 - Quel engagement dans la démarche qualité ?
Lobligation dévaluer la qualité du service rendu, tant dans les structures médicosociales
(loi du 2 janvier 2002 rénovant laction sociale et médico-sociale) que dans les
établissements sanitaires (ordonnance de 1996), est une contrainte qui permet de
repenser les pratiques professionnelles.
Ce processus dassurance qualité nécessite un accompagnement méthodologique des
équipes, souvent en nombre insuffisant.
La démarche qualité permet une diffusion large des guides de bonnes pratiques, des
conférences de consensus et impacte les compétences par lamélioration du niveau de
connaissances.
3 - Les concepts de bientraitance et de bienveillance, et la lutte
contre la maltraitance doivent faire lobjet de conférences
de consensus, apportant des outils de réflexion éthique.
1 voir chapitre : Déplacement dans la cité :
4 - Favoriser le maintien de la vie sociale du malade
quelle liberté pour quelle sécurité ?
2 voir chapitre :Quelle insertion sociale dans la cité ? et lui conserver sa citoyenneté2.
42
V -Etre toujours en relation
lorsque la maladie progresse
Vivre à domicile à un stade avancé de la maladie
1 - Quels sont les pré-requis à une vie à domicile
à un stade avancé ?
La vie à domicile à un stade avancé est une volonté de la personne malade et de sa
famille. Elle suppose de considérer la personne dans son humanité et de savoir
sadapter à ses capacités, ses besoins et ses attentes.
La proximité et la disponibilité dun proche sont indispensables.
La possibilité de recourir à des aides professionnelles (réseau gérontologique de
proximité), avec une approche multidisciplinaire en réseau, permettent de prévenir les
situations à risque.
Des moyens financiers personnels suffisants, complétés par les aides financières
possibles (APA, Assurance dépendance).
2 - Quels éléments favorisent le maintien à domicile
jusquà un stade avancé ?
La précocité du diagnostic, sa connaissance par la personne malade et par ses proches.
Un accompagnement, un soutien adéquat du patient et de ses proches tout au long du
parcours de la maladie1, avec une évaluation régulière de la pertinence et de la qualité
du maintien à domicile.
Une bonne cohésion entre les professionnels et les proches 2 .
Un soutien psychologique des professionnels.
3 - Quelles sont les limites du maintien à domicile à un stade
avancé ?
Les ressources financières sont insuffisantes.
Les besoins de base et la sécurité de la personne malade ne peuvent plus être assurés
malgré limplication des acteurs.
1 voir chapitre : Projet de soins et contrat de soins
Les ressources psychologiques et/ou physiques des aidants sont dépassées.
2 voir chapitres :Lentourage familial et ses limites
La qualité du maintien à domicile se dégrade (maltraitance, enferment social de la et Jusquoù les professionnels peuvent-ils se
personne malade et/ou de son aidant, etc.). substituer au malade et à sa famille ?
43
V - Etre toujours en relation lorsque la maladie progresse
Lentrée en institution est-elle un choix
ou une obligation ?
QUELQUES CHIFFRES
La majorité des patients atteints de
maladie dAlzheimer ou apparentée
vivent à domicile (65% à 88% selon les
études). Leur prise en charge est alors
assurée dans 50% des cas par la famille
seule. Aujourdhui environ 80% des
années de vie de ces malades sont
vécues à domicile et 20% en institution.
Dans les structures dhébergement, on
estime quenviron 70% des patients sont
atteints de maladie dAlzheimer ou dune
démence.
Lavancée de la maladie rend plus
importante la probabilité dentrée en
institution en raison de la fréquence des
troubles du comportement (le fait de
déambuler ou de se perdre double
le risque dêtre institutionnalisé)1, du
retentissement de la maladie sur la
dépendance (41% des patients seulement
demeurent à domicile quand ils ont au
moins une incapacité) 2.
1 Ankri J. Quand institutionnaliser
une personne âgée démente ?
Neurologie Psychiatrie Gériatrie 2001,32-35.
2 Kasper JD, Shore AD. Cognitive
impairment and problem behaviors as risk
factors for institutionalization.
J Appl Gerontol 1994;13:371-385.
1 - Lentrée en établissement dhébergement est-elle un choix ?
Oui, lentrée en institution peut être un choix de la personne en réponse à :
-un besoin de sécurité et de réassurance de la part du patient et de lentourage ;
-un besoin de vivre avec dautres ;
-un rapprochement auprès des enfants ;
-une permanence des soins en établissement ;
-une recherche de la personne à laquelle répond un projet spécifique de létablissement
(confessionnel, activités ciblées, etc.).
Non, lentrée en établissement dhébergement nest plus un choix mais devient obligatoire,
lorsque certains facteurs, conjugués à la baisse des performances cognitives et à leur
retentissement (comportements, dépendance), rendent difficile le maintien à domicile :
-lisolement social ou linadaptation de lenvironnement ;
-lépuisement de lentourage et des aidants ;
-labsence ou linsuffisance de structures professionnelles pouvant intervenir au
domicile sur le secteur ;
-les ressources financières insuffisantes.
2 - Comment éviter les situations de non-choix ?
Par lanticipation, avec évaluation régulière et précise de létat de santé de la
personne malade, de son traitement et de son environnement1. Les hospitalisations en
situation de crise représentent un facteur de risque supplémentaire dentrée en
institution.
Les placements durgence sont à proscrire absolument.
Les solutions de répit permettent de donner à chacun du temps pour sortir dune
situation de non-choix.
3 - Quand et comment choisir dentrer en institution ?
1 voir chapitre : Projet de soins et contrat de soins
2 voir chapitre : Tant que le patient a encore sa
raison, comment peut-il prévoir son avenir.
La décision dentrer en institution devrait être laboutissement dun processus élaboré
au fil de lévolution de la maladie, dans le cadre du projet de soins :
-évoquer assez tôt cette question avec le patient, tant quil peut lucidement faire des
choix2;
-toujours rechercher lavis du malade, respecter son choix, mais sans sy laisser
enfermer sil semble déraisonnable ;
-définir clairement les objectifs de linstitutionnalisation ;
-prendre la décision dans un travail en triangulation (malade, famille, soignants),
dans le respect des rôles de chacun des intervenants autour de la personne ;
-conseiller laidant pour quil ne senferme pas dans des promesses impossibles de
maintien à domicile à tout prix ;
-dédramatiser limage de linstitution pour permettre une meilleure qualité de vie au
malade et lever la culpabilité des aidants et de lentourage ;
-proposer de visiter différentes structures, entre lesquelles le patient pourra faire
son choix, voire envisager une intégration progressive par le biais de laccueil de jour
44
ou daccueil en hébergement temporaire.
Lentrée en institution représente toujours un moment difficile pour le patient et son
entourage dans lévolution de la maladie. Laccompagnement est particulièrement utile
durant cette période, dautant plus que nombre de conflits, promesses, amertumes
variés peuvent ressurgir à cette occasion.
Les EHPAD aujourdhui et la maladie dAlzheimer
1 - Quest-ce quun EHPAD ?
Un EHPAD est un établissement dhébergement pour personnes âgées dépendantes,
cest-à-dire ayant perdu leur autonomie physique et/ou psychique. Il a la double mission
dêtre un lieu de vie et un lieu de soins.
2 - Les EHPAD sont-ils adaptés à laccueil de personnes atteintes
de maladie dAlzheimer ou apparentée ?
Pas toujours
Tous ne proposent pas des soins et un accompagnement adaptés aux
besoins de ces patients. Certaines structures refusent ces personnes ou ne les gardent
pas. Pourtant, laugmentation constante de la proportion de personnes atteintes de
troubles cognitifs dans ces établissements les oblige tous à des adaptations nécessaires,
prenant en compte laccompagnement de ces résidents dans le projet
détablissement.
3 - Quels principes éthiques le projet détablissement doit-il respecter ?
Les principes auxquels létablissement entend se référer sont précisés dans le projet
détablissement, projet multidisciplinaire (administratifs, soignants, familles) régulièrement
actualisé qui sintègre dans le réseau gérontologique local.
Le projet détablissement respecte les principes fondamentaux de léthique :
-dignité : honorer le statut inaliénable et la valeur inconditionnelle de la personne
humaine dans sa fragilité en lui reconnaissant le droit à un espace, à du temps et à
se sentir aimée ;
-solidarité : prendre le parti des personnes atteintes de troubles cognitifs et favoriser le
lien social ; garantir une présence au service des résidents ;
-justice et équité : veiller à satisfaire les besoins personnels de chacun ;
-liberté : cultiver lautonomie en proposant des choix à la mesure des capacités de
chacun, en acceptant la prise de risque.
La crise fait partie du développement et de lévolution de tout être humain ; elle
comporte un potentiel structurant. LEHPAD se fixe pour objectif de développer des
pratiques destinées à assurer une bonne gestion de crises.
La cohérence entre les valeurs institutionnelles et celles des soignants permet la
concrétisation du projet détablissement autour de ces principes fondamentaux.
V - Etre toujours en relation lorsque la maladie progresse
4 - LEHPAD doit-il sadapter ou se spécialiser dans la prise en
charge des résidents souffrant de maladie dAlzheimer ou
apparentée ?
Il nexiste aujourdhui que peu de références ou de recommandations sur lesquelles un
EHPAD pourrait sappuyer pour élaborer son projet détablissement. Les difficultés
viennent du fait quun EHPAD est à la fois un lieu de vie et un lieu de soins, où peuvent
cohabiter des personnes avec ou sans troubles cognitifs. Le projet détablissement
précise et adapte les objectifs de létablissement, en fonction de la population quil
accueille.
Le projet détablissement sappuie sur les objectifs suivants :
-affirmer la valeur de lhumain ; en entretenant une relation de réassurance avec la
personne, des liens sociaux conformes à ses désirs et à ses besoins. La prise en
compte des difficultés du plus faible entraîne une production de sens pour tous,
autres résidents et personnels ;
-protéger et entretenir la vie ; projet de soins adapté et personnalisé, au nom de
légalité entre les hommes, centré sur la personne et non sur la maladie ;
-assister la personne ; aide à lautonomie, au nom de la solidarité et de la liberté à
disposer de son corps.
5 - Lorganisation est-elle en cohérence avec ces principes ?
Lorganisation architecturale des espaces est un outil au service du projet détablissement.
Elle est adaptée à la population accueillie suivant le respect de certaines
recommandations :
- faciliter la prise de repères ;
- favoriser le respect des valeurs et principes énoncés ;
-la chambre est un espace privatif (respect de la vie privée) accessible à toute heure ;
-des espaces de vie sociale sont ouverts en permanence aux résidents et à leurs
visiteurs ;
-les aménagements intérieurs sont conçus pour faciliter lautonomie et limiter les
risques (chutes, accidents domestiques, etc.), tout en restant cossus et douillets ;
-laménagement doit procurer, dans son ensemble, une sensation de bien être et de
convivialité ;
-un accès direct et libre à des espaces extérieurs clos (jardins thérapeutiques) est
possible.
Lorganisation fonctionnelle doit contribuer au respect de ces principes :
-lorganisation de la vie quotidienne concilie les besoins individuels souvent
déstructurés dans le temps et dans lespace pour ces patients, et les impératifs de la
vie collective ;
-une vie collective organisée en petits groupes ;
-elle prévoit louverture de létablissement sur la vie de la cité (associations de
quartier, vie municipale, sorties culturelles, marché, lieux de culte) ;
-elle recherche une alliance thérapeutique, fondée sur le recueil de lhistoire de vie,
lidentification des problématiques, lélaboration du projet de vie et laccompagnement
des processus de deuil ;
-elle prévoit des temps de transmission entre les équipes.
Les facteurs liés au personnel sont essentiels :
-la formation de léquipe permet une diminution des troubles du comportement des
résidents, et davantage de plaisir au travail pour le personnel ;
-il nexiste pas de professions spécifiques pour cet accompagnement et ces soins,
mais des personnels ayant les aptitudes et compétences nécessaires pour prendre
soin de ces résidents ;
- les effectifs doivent être suffisants ;
-le projet détablissement stipule lexistence dun plan de formations, dispensées par
des professionnels ; ces formations permettent aux personnels dacquérir ou de
compléter leurs compétences, de valoriser le travail réalisé, de développer une
culture commune, et de proposer des pistes de développement ;
-la mobilité des personnels travaillant auprès de ces résidents sera prise en compte
et facilitée chaque fois quils en expriment le besoin ;
-la difficulté de prise en charge de ces résidents impose des temps de réunions
programmés autour des projets individuels et collectifs et pour analyser les
difficultés (espaces de parole) ;
- donner du sens aux aides et soins réalisés ;
-avoir des objectifs communs aux équipes soignante et administrative réalisables et
valorisants.
6 - Comment répondre en pratique aux principes éthiques destinés
à garantir une qualité de vie ?
Certaines attitudes témoignent du respect inconditionnel de la dignité de lêtre humain :
-le respect inconditionnel des règles élémentaires de politesse ;
-lutilisation des différents moyens de communication verbale et non verbale ;
-lattention bienveillante et empathique ;
-le respect de lintimité (toilette, continence, de la vie sexuelle si elle est librement
consentie, etc.) ;
-la prise en compte de la vie émotionnelle et affective comme témoin de la
permanence du sujet et de son identité.
Certaines actions répondent aux principes de solidarité et déquité qui favorisent
lautonomie des résidents :
-répondre à chacun selon ses besoins avec discernement et sans jugement de valeur ;
-proposer des choix accessibles à chaque bénéficiaire en fonction de son état et de
ses capacités (rythmes de vie, activités, habillement, repas, siestes, etc.).
Certaines actions répondent au respect des liens familiaux et amicaux :
-la liberté des horaires de visite ;
-lencouragement de la participation et de la collaboration des familles dans la
complémentarité des rôles ;
-la proposition dun soutien psychologique des proches.
Les prestations alimentaires et hôtelières doivent suivre ces principes :
-les menus sont adaptés aux habitudes culturelles, aux goûts, aux capacités
fonctionnelles et aux besoins nutritionnels des résidents ;
-les résidents ont des possibilités de choix (menus, horaires, collations, etc.) et un
libre accès aux aliments en dehors des repas ;
-lapport de mobilier, deffets et de biens personnels est autorisé et encouragé ;
-la garde robe de chaque résident est identifiée et personnalisée ;
-les résidents ont la possibilité davoir un animal domestique sous certaines
conditions.
Les activités proposées sont adaptées :
-aux possibilités des résidents ;
-aux capacités restantes de chacun, sans jamais mettre en échec lindividu, basée
tant sur les cinq sens que sur la prise en compte des émotions ;
-en fonction du repérage des signes non verbaux de plaisir ou de refus.
V - Etre toujours en relation lorsque la maladie progresse
7 - Quelle est la place des unités spécifiques ?
Tout établissement dhébergement pour personnes dépendantes doit proposer, dans
son projet détablissement, un projet de vie et de soins adapté aux personnes atteintes
de maladie dAlzheimer ou apparentée.
Un projet architectural nest déterminant que sil est en adéquation avec le projet de vie,
qui guide cette organisation des espaces.
Les unités spécifiques sont des lieux de vie permanents pour une douzaine de
personnes ayant des troubles cognitifs ; certaines accueillent les personnes jusquà la
fin de leur vie, dautres ne les gardent que tant que leur autonomie motrice est
conservée. Dans ce dernier cas, létablissement doit proposer à ces résidents en perte
dautonomie physique et psychique, une prise en charge adaptée dans une autre partie
de linstitution.
Le lieu dédié ne suffit pas à créer une unité spécifique : il existe dabord un projet
daccompagnement daide et de soins, un personnel formé et encadré, une réflexion
sur le fonctionnement. Ces éléments évitent que ces unités ne soient des lieux
denfermement ou des vitrines pour des établissements délaissant les autres
résidents.
Il y existe une évaluation interne et externe de laccompagnement proposé.
Etre en relation : persistance dune vie
affective et émotionnelle
1 - Les patients conservent-ils une vie émotionnelle et affective
à un stade avancé de la maladie ?
Oui, la persistance dune vie affective et émotionnelle, même si elle devient désorganisée,
est maintenant largement reconnue chez les personnes présentant une maladie
dAlzheimer ou apparentée, et ce, même à un stade avancé de lévolution.
Sa reconnaissance se heurte aux difficultés croissantes de communication verbale
des patients.
2 - Quelles en sont les implications, en pratique ?
Il sagit de rester dans la relation avec le patient, quelle soit verbale ou non verbale.
Pour la personne malade, lisolement affectif est source dune ankylose psychique
quil faut prévenir. Il faut repérer les émotions par lobservation fine des
comportements de la personne. Il faut rester vigilant au fait que labsence de retour
incite les aidants et les soignants à échanger entre eux en oubliant celui qui se tait.
Il faut prendre en compte lhistoire de vie du patient, et savoir repérer, en lien étroit avec
les proches, que les émotions du présent sont parfois en relation avec des évènements
antérieurs de la vie du patient. Les expressions considérées comme incohérentes, voire
gênantes, sont autant de messages indices de la vision du monde du malade et de son
histoire de vie : le malade dément peut se fixer sur des tâches de vie non résolues
(Erikson).
La persistance dune vie affective est un des meilleurs moteurs positifs pour les
personnes malades. Certains supports permettent de favoriser des réminiscences, en
particulier émotionnelles (musique, clown, photos, activités de stimulation sensorielle,
gestes familiers de la vie quotidienne, lien intergénérationnel, etc.).
Il faut impliquer les proches et leur faire prendre conscience que leur parent est
encore une personne à part entière et que lon peut échanger avec elle dans une
densité émotionnelle.
Il faut savoir mettre de côté ses propres émotions :
-il est difficile pour celui qui cherche à maintenir la relation (aidants, proches ou
professionnels) de ne pas être reconnu dans son identité et dans ses rôles habituels ;
-les soignants ont le devoir de témoigner auprès des familles afin quelles puissent
continuer à échanger de laffectif avec leur parent et ne pas porter de jugement
moral sur certains comportements, notamment sexuels ;
-lentourage doit connaître aussi que laffectivité peut être tournée vers dautres.
Lencadrement institutionnel tend à prévenir les risques de dérives :
-les groupes de parole (familles et/ou soignants et/ou soignés) peuvent permettre
daccepter les nouveaux modes de relation avec les patients, dy trouver du sens et
de prévenir des situations dépuisement et de maltraitance ;
-la formation et lencadrement des personnels permettent de faire face aux risques
dinterprétation, de mélanges des émotions, de projections, et notamment la
formation aux soins relationnels.
Gérer les situations difficiles
1 - Quest-ce quune situation difficile ?
Une situation difficile est une situation qui nécessite une décision dont les enjeux sont
complexes, du fait dun équilibre précaire entre les risques et les bénéfices.
Chaque situation difficile est unique et doit être gérée spécifiquement, car elle se crée à
linterface de plusieurs facteurs que sont le patient, son environnement familial, les
aidants et les soignants, et le lieu de résidence.
Même sil est parfois nécessaire dagir vite, une réflexion et une évaluation de la
prise en charge sont indispensables, dans une démarche de réflexion éthique 1 .
Il apparaît nécessaire de réaffirmer la valeur de lindividu, quil soit patient, aidant ou
soignant, pour sortir de ces situations difficiles à partir de moyens découte, dinformations,
de formation et de prévention.
2 - Quelles sont les situations difficiles et comment les gérer ?
Les situations difficiles ou crises concernent la personne malade, vivant à domicile
ou en institution, lentourage familial et les soignants.
Elles doivent être prévenues autant que possible par une démarche danticipation
mais quand elles surviennent et motivent des décisions difficiles à prendre, elles
doivent engager tous les acteurs concernés dans une véritable démarche éthique 1 .
49
1 voir : Pour conclure
VI - Fin de vie
Quelles conditions pour la fin de vie des personnes
atteintes de maladie dAlzheimer ou apparentée ?
1 - La période de fin de vie peut-elle ou doit-elle être définie ?
Pour conserver une véritable continuité de la prise en charge, il convient de ne pas
définir un début de fin de vie.
La période de fin de vie nest pas synonyme de stade terminal de la maladie. Elle est
souvent longue et associée à des co-morbidités.
Cest une période difficile pendant laquelle certaines valeurs fondamentales doivent
continuer à être défendues de notre place de soignant, de famille, de citoyen, dun point
de vue législatif et éthique.
2 - Quelles sont les spécificités de la fin de vie liées
à la maladie dAlzheimer ?
La maladie dAlzheimer ne peut être le prétexte daucune discrimination. La dignité
humaine ne peut être remise en cause par la démence. La personne atteinte de maladie
démentielle reste une personne humaine au delà de son apparence physique et même
si son handicap est insupportable. Notre expérience clinique en est le garant.
Spécificités du deuil dans la maladie dAlzheimer.
Il arrive fréquemment, lors de la phase ultime de la maladie dAlzheimer, souvent
longue et privée de communication verbale, que tel membre de la famille ou tel
soignant en arrive à souhaiter que le malade disparaisse. Malheureusement, ces
pensées hostiles cachées renforcent le sentiment de culpabilité des proches au moment
du deuil, car il leur est forcément difficile de reconnaître quils ont pu souhaiter la
disparition de ceux quils aiment, mais dont la présence les gêne ou les agresse.
Une particularité des fins de vie des malades dAlzheimer est que le malade nest pas
tant celui qui souffre que celui qui, involontairement, fait souffrir ses proches. Du fait
des difficultés de communication et dune image très concrète de perte des capacités
mentales et physiques, le malade renvoie son entourage à sa finitude, à sa peur de
mourir, mais surtout à la peur de mourir comme cela
Il arrive que, dans une
réaction de défense, les proches agissent déjà comme si le malade nétait plus là ou
plus vraiment là
On appelle cela une réaction de deuil anticipé.
Cest pourquoi laccompagnement des proches durant la fin de vie des malades
souffrant de démence est tellement important : il peut les aider, en les informant
régulièrement sur lévolution de la maladie et sur les soins donnés, à prendre le temps
de séparer la vie, le mourir et le deuil car ces différentes phases donnent parfois
limpression pénible de se télescoper. La réflexion accompagnée par un psychologue
peut aussi permettre la prise de conscience de sentiments ambivalents, et préparer
une phase de deuil plus facile, ou tout au moins éviter des deuils compliqués voire
pathologiques, en invitant à ce que Michel de MUzan a appelé le travail de trépas, c'està-
dire un travail psychique de préparation à sa propre disparition.
Cela est vrai aussi pour les soignants, confrontés de façon répétitive à la disparition de
leurs patients dans ces circonstances difficiles, et donc à des deuils répétés, exposant à
lépuisement.
Si le deuil est naturellement conditionné par la relation que lon avait avec la personne
qui est morte, on perçoit bien la difficulté de faire le deuil dun malade dément, dont la
personnalité a changé au fil de sa maladie, ce qui a justement appauvri la relation. Il se
crée alors une distance et une distorsion entre limage et le souvenir que lon a de celui
que lon a connu et aimé et celui qui est là maintenant mourant.
Le deuil sera plus simple si la dernière phase de vie du malade a permis un travail de
réconciliation avec le passé et de reconstruction de la relation sur un mode déchange
affectif plus simple. On peut souhaiter seulement que, dans la durée, le temps du deuil
permette un certain apaisement aux proches, si limage ancienne et limage récente du
patient peuvent refusionner.
Cest pourquoi laccompagnement ne sarrête pas avec la mort du malade, et il importe
de proposer et dorganiser aussi laccompagnement des endeuillés, sils lacceptent.
Les troubles de la communication verbale sont un élément majeur de déstabilisation de
la famille et des soignants, surtout lorsquil faut prendre des décisions difficiles : Quel
sens donner aux soins mis en place ? Quel est le sens du temps présent ? Quel est le
sens des conduites du malade ?
Quelle place pour lexpression du malade ?
1 - Existe-il une expression possible pour la personne atteinte
de maladie démentielle en fin de vie ?
Oui, la personne âgée atteinte dune maladie démentielle est une personne à part
entière, jusquau bout, dont lexpression, verbale ou non, doit être prise en compte1 . Elle
peut encore faire des choix même partiels.
Le message nest pas toujours identifiable lorsquil est exprimé par la personne
malade (difficulté dexpression verbale, ambivalence, oublis, etc.). Aussi, le contenu de
cette expression peut être relayé par des tiers (personnes de confiance, famille, équipe,
personne référente).
Les difficultés de communication peuvent ouvrir la voie à la maltraitance.
2 - Comment accéder au message exprimé par le malade ?
Le mode dexpression à un stade évolué de la maladie est principalement non verbal,
sur le registre émotionnel.
Comprendre les besoins de la personne malade nécessite humilité et sollicitude,
attention et respect de la part du soignant.
Lattitude empathique est à la base de toute communication. Elle permet de faire
abstraction de ses sentiments personnels et de ne pas les projeter sur lautre,
daccepter lautre tel quil est, différent de soi sans jugement ni interprétation.
Avant dentrer en communication, le soignant se donne quelques secondes pour se
centrer et se rendre disponible à lautre, pour le voir, lentendre, pressentir son état
émotionnel, pour ajuster sa façon dêtre en fonction de ce quil observe.
En communication non verbale le soignant sadresse au patient en utilisant sa voix
(rythme, tonalité), la position de son corps (attitude, gestes, mouvements), le regard et
le toucher.
Il est juste de tenir compte autant que possible des renseignements recueillis
auparavant sur les désirs et attentes du malade.
Ces attitudes et ces techniques ne sont pas naturelles et demandent un apprentissage 1 voir chapitre Etre en relation : persistance dune
en formation aux soins relationnels. vie affective et émotionnelle.
51
VI - Fin de vie
3 - Quelles conditions pour matérialiser la qualité de ce mode
de communication ?
La qualité de la fin de vie est inscrite dans le projet de vie et le projet de soins
individuels, grâce au projet détablissement ou de service à domicile.
Lexpression du manque de temps est un problème récurrent. Mais une meilleure
organisation et une priorisation explicite des choix peuvent contribuer à une relation plus
humaine. Une toilette, par exemple, peut être un véritable soin relationnel.
4 - Comment concilier la parole des professionnels,
celle de la famille et celle du malade ?
La parole la plus légitime est celle du malade. Viennent ensuite celles du médecin
traitant et de la personne de confiance. Si un problème médical se pose, la décision
sera collégiale (démarche éthique).
Faut-il tenir toujours compte de la parole des patients ? Plus longtemps que lon croit,
en tenant compte du moment et du contexte : hors situation de crise, hors tumulte du
service.
Problème de lambivalence : le malade peut exprimer des désirs paradoxaux qui
peuvent se retrouver chez les aidants et soignants comme reflets de lécoute quils ont
pu avoir du malade, voire de leurs propres projections (systémique). Le rôle de la
personne de confiance est ici primordial.
Prise en compte des directives anticipées éclairées dans le cadre légal 1.
Quel accompagnement pour les familles
et les professionnels ?
1 voir chapitre Tant que le patient a encore sa
raison, comment peut-il prévoir son avenir ?
et encadré Législation.
1 - Quel accompagnement pour les familles ?
Laccompagnement de fin de vie des personnes atteintes de maladie dAlzheimer ou
apparentée comporte une dimension temporelle longue et doit sadapter aux phases
évolutives de la maladie. Des temps de rencontre entre les professionnels et les
membres de la famille doivent ponctuer laccompagnement, autant pour linformation
et lorientation que pour les prises de décision. Ces rencontres ont une visée
danticipation et permettent à chacun de penser lavenir et de mettre du sens sur son
vécu. Laccompagnement familial contribue à limiter le risque de deuil pathologique de
fin de vie.
Face aux risques dépuisement, dincompréhension, de ruptures et de crises,
laccompagnement des aidants informels représente un enjeu éthique majeur. Il doit être
pensé dès le début de la maladie, poursuivi tout au long de lévolution et jusquaprès la
mort de la personne malade1 : information, formation, coordination, soutien psychologique,
groupes de parole, associations de familles, etc.
52
2 - Quelle formation et quel soutien des personnels
pour accompagner la fin de vie ?
Une formation et un soutien spécifiques de tous les personnels confrontés à la fin de vie
sont nécessaires (soin relationnel, techniques de communication non verbale, soins
palliatifs, éthique, etc.). Cette formation doit être incluse dans une démarche générale
damélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de maladie dAlzheimer et
damélioration des pratiques professionnelles, tant au domicile quen institution.
Il faut favoriser la collégialité des équipes et la participation des cadres, médecins et
directeurs et des paramédicaux dans des collectifs de direction des soins (pas de
personnel isolé, gadgétisé), la meilleure solution étant la formation in situ des acteurs.
3 - Quel accompagnement pour les professionnels ?
Lexistence dun projet détablissement ou de service à domicile bien élaboré et un
management clair sont indispensables pour donner et conserver du sens au soin et à la
relation1 .
Laccompagnement comprend : information adaptée, coordination, soutien et gestion du
stress. Cela implique disponibilité, fiabilité et compétence technique.
Quelles spécificités cliniques ?
1 - Les personnes atteintes de maladie dAlzheimer ou apparentée
nécessitent-elles une approche spécifique ?
Oui, lexistence de troubles cognitifs pose des problèmes spécifiques, dordres éthique
et médical 1. La stigmatisation de cette maladie est susceptible de modifier le regard des
soignants : linquiétante étrangeté du malade et un repli sur soi peuvent susciter en
miroir un repli autiste du soignant, qui risque daltérer la mise en application de ses
compétences professionnelles.
Lévaluation de la souffrance, des symptômes et des besoins est particulièrement
difficile chez le patient atteint dune maladie dAlzheimer à un stade avancé du fait des
troubles de la communication verbale. Le risque de retard diagnostique, de mauvaises
pratiques (acharnement ou, à linverse, négligence passive et abandon thérapeutique),
de sous-estimation de la souffrance, voire de maltraitance est donc majoré. Nombre
dévènements médicaux se manifestent sur un mode psychologique et/ou
comportemental. Dans ce contexte, une des plus grandes difficultés est didentifier un
changement dans le comportement du patient, révélateur potentiel dun événement
médical intercurrent, et notamment dun syndrome douloureux. Un danger est de trop
vite attribuer à la seule maladie dAlzheimer tout symptôme que lon est amené à
constater.
Cest par une attitude volontariste que chacun, soignants et proches, doit lutter contre une
tendance consciente ou non à dépersonnaliser le patient. Cest à la fois un pari de croire
que lêtre persiste et un engagement pour lutter contre de mauvaises pratiques.
Les situations impliquant des prises de décision particulièrement complexes sont
fréquentes et nécessitent une réflexion en équipe interdisciplinaire et interprofessionnelle.
1 voir chapitre Projet de soins et contrat de soins.
53
VI - Fin de vie
2 - Quels sont les symptômes cliniques qui posent fréquemment des
problèmes en fin de vie ?
Les symptômes cliniques ne sont pas fondamentalement différents de ceux rencontrés
habituellement en fin de vie mais leur prévalence peut être différente.
La douleur est fréquente, parfois iatrogène ou induite par les soins. Elle est, en
particulier, difficile à interpréter : douleur ou inconfort ? Douleur ou angoisse ? Les signes
sont souvent trompeurs (agitation, repli sur soi, cris, etc.) et il convient donc de réfléchir en
équipe pour optimiser la démarche clinique. Il est parfois difficile de distinguer angoisse et
douleur car, en fin de vie, langoisse peut se manifester, comme la douleur, par des signes
indirects.
Les difficultés de salimenter, voire lapparent refus de salimenter, sont fréquentes au
cours de lévolution de la maladie démentielle. Il peut sagir dun trouble du
comportement dont il convient de rechercher et de traiter la cause. Ces troubles
peuvent en effet être révélateurs de dépression, de douleur, de mycose, danorexie
iatrogène, dopposition à une prise en charge trop contraignante
Ils apparaissent plus
tardivement dans lévolution de la maladie comme symptôme neurologique: apraxie
buccolinguale ou pharyngée avec trouble de la déglutition. A ce stade, le but de
lalimentation est dapporter un certain confort et non de répondre aux exigences
nutritionnelles. Lalimentation artificielle par GPE ou sonde naso-gastrique na que très
peu dindication, les résultats détudes cliniques ou lexpérience ayant montré que la
souffrance engendrée par cette pratique était supérieure aux bénéfices escomptés.
Si la sensation de soif diminue et demande une attention soutenue, lhydratation par voie
orale reste longtemps facile en ladaptant, en cas de troubles de la déglutition, aux seuls
liquides (eau gazeuse, épaississants) ou en la complétant par une perfusion sous-cutanée
si elle est acceptée (pas de contraintes) et bien tolérée. Il convient de savoir linterrompre
en toute fin de vie lorsque apparaissent des oedèmes ou un encombrement pulmonaire.
Les soins de bouche seront alors particulièrement attentifs pour le confort du patient.
Lasthénie est souvent intense mais sous-évaluée. Il convient den tenir compte, et de
savoir modifier sa démarche soignante au cours de lévolution de la maladie : si une
stimulation appropriée du patient est de mise dans les stades modérés ou même
relativement avancés, le respect de cette grande fatigue et de laltération de létat général
doit faire accepter le maintien presque exclusif au lit pour la majorité de ces patients
durant leur long mourir.
3 -Quels sont les problèmes spécifiques liés à la sédation en fin de vie ?
La sédation en soins palliatifs fait lobjet de nombreux débats. On ne dispose pas de
données sur son utilisation chez les patients ayant une maladie dAlzheimer.
Lutilisation de la sédation en soins palliatifs a été réalisée par des cocktails lytiques
et actuellement le plus souvent par le midazolam. Sous ce terme, sont regroupées des
pratiques différentes dont les objectifs, souvent mal définis, prêtent à confusion avec
leuthanasie.
La sédation est avant tout une technique danesthésie que les réanimateurs définissent
comme lutilisation de moyens médicamenteux ou non, destinée à assurer le confort
physique et psychique du patient, et à faciliter les techniques de soins.
Si les objectifs de la sédation sont clairement exposés, il nest rien dit de laltération
de la vigilance et/ou de la conscience du malade, or cest ce qui pose problème car la
sédation altère volontairement la vigilance et donc la relation, ce qui est à lopposé de
lapproche palliative qui souhaite améliorer la qualité de la fin de vie en préservant une
vie relationnelle. Le danger réside dans le fait quune personne ayant une maladie
dAlzheimer présente déjà des troubles de la communication et se manifeste parfois au
stade évolué par des cris ou des gémissements. Comment faire la part des choses
entre souffrance et communication ? Comment répondre aux demandes de sédation
argumentées par laspect pauci-relationel antérieur de la personne malade ?
La sédation est censée répondre essentiellement à la nécessité de soulager le patient
lors de souffrances résistantes aux traitements classiques, son maintien nest pas
envisagé a priori.
Les enjeux de la sédation
-Pour induire une sédation en fin de vie, les médecins utilisent certains médicaments
habituellement réservés à lusage des anesthésistes, hors AMM. Nest-ce pas trop
facile ? Est-ce toujours à bon escient ? Laltération de la conscience nempêche pas
un travail psychique. Quéprouvent les patients ? Nous lignorons.
-Faut-il enfin rappeler que le recours à la sédation nécessite laccord du malade,
plus encore que tout autre traitement ? Comment recueillir son consentement ?
-Altérer la vigilance jusquà mettre en jeu ses capacités de jugement et de relation
même altérées par la maladie ne peut être décidé impunément.
-Enfin, comment estimer le caractère insupportable dune situation et de la
qualification de symptôme réfractaire nécessitant une sédation ? Sur quels critères
se fonder ? À lintention de qui la sédation est-elle alors prescrite ? Les soignants et
lentourage ne ressentent-ils pas parfois une angoisse supérieure à celle du malade
comme le montrent certaines études 1 ? Les proches ont besoin dêtre accueillis,
écoutés, soutenus. Il paraît indispensable de prendre le temps de les informer, de
dissiper des malentendus et de lencourager à accompagner encore, mais peut-
être autrement, le malade. Dans certaines situations, le malaise des soignants est
également important.
-La banalisation de la sédation, en labsence de symptôme résistant ou de situation
de détresse, ne témoigne-t-elle pas, pour une part, de la difficulté des soignants à
communiquer avec un malade à la fois souffrant dune maladie dAlzheimer et en
fin de vie ?
-La sédation risque alors de devenir une euthanasie déguisée. En effet, la vie du
malade profondément sédaté perd peu à peu son sens aux yeux de lentourage qui
sépuise et des soignants eux-mêmes qui ne savent plus pourquoi ils consacrent
autant de temps aux soins dun malade qui ne communique plus et dont on attend
le décès. Pourquoi alors attendre davantage ? Le malade Alzheimer court le risque
de mort sociale une première fois par sa maladie et une seconde fois par la fin de vie.
-Si lanxiolyse, ou sédation légère pose peu de problèmes, linduction dune sédation
profonde reste délicate. Elle suppose une adaptation permanente à lévolution de
létat du malade et une pratique collégiale du soin en accord avec le patient et sa
famille pour que la sédation reste bien de lordre du soin. Les recommandations de
lAFSAP (Agence Française de Sécurité Alimentaire et Pharmaceutique) sur les
situations difficiles peuvent aider à y voir plus clair. Cest en privilégiant la relation
avec le malade et son entourage et en ayant recours systématiquement à une
décision collégiale que les risques de banalisation et de dérive de la sédation
pourront être évités.
-Même en cas de détresse, le recours à une sédation reste une solution insatisfaisante
et imparfaite.
1 Morita Morita T, Inoue S, Chihara S. Sedation for
symptom control in Japan : the importance of
intermittent use and communication with family
members. J Pain Sympt Manag 1996;12:32-38.
55
VI - Fin de vie
GRILLE DE CRITERES DAIDE
A LA DECISION EN GERIATRIE
(RENEE SEBAG-LANOË)
1.
Quelle est la maladie principale
de ce patient ?
2.
Quel est le degré dévolution
de la maladie ?
3.
Quelle est la nature de lépisode
actuel surajouté ?
4.
Cet épisode est-il facilement curable
ou non ?
5.
Y a-t-il eu une répétition récente
dépisodes aigus rapprochés ou une
multiplicité datteintes pathologiques
diverses ?
6.
Que dit le malade, sil peut le faire ?
7.
Quexprime-t-il à travers son
comportement corporel et sa
coopération aux soins ?
8.
Quelle est la qualité de son confort
actuel ?
9.
Quen pense la famille ?
10. Quen pensent les soignants qui
le côtoient le plus souvent ?
4 - Comment optimiser la démarche clinique ?
Ces malades nécessitent un engagement particulier des soignants, compte tenu de
leur particulière vulnérabilité.
Lobjectif est la qualité de vie du patient. Elle est difficile à évaluer car le malade est
souvent grabataire, mutique, dysphagique, avec des épisodes infectieux répétés. De
plus, cet état se prolonge souvent dans le temps, et ce long mourir est éprouvant pour
le patient comme pour lentourage. Une prise de conscience de nos ambivalences
respectives (celles du soigné, celles des soignants) est nécessaire.
La prise en compte de laspect psychique ne doit pas occulter la dimension physique :
la personne atteinte de maladie démentielle est un malade à part entière pour lequel, à
chaque complication, le diagnostic doit être soigneusement posé et les traitements
curatifs nécessaires mis en place. Tout patient doit être examiné et évalué de façon
multidimensionnelle par une équipe pluridisciplinaire. On définit des objectifs, et les
évaluations doivent être répétées souvent, tant sur létat du patient que sur les
nouveaux objectifs.
Lorsque la vie est menacée par un accident évolutif, une pathologie associée, il
existe un risque dabandon thérapeutique. Il convient de mesurer le bénéfice/risque de
chaque intervention.
Tout malade a droit aux soins palliatifs lorsque ceux-ci deviennent les mieux adaptés à
son état.
La fin de vie nécessite le recours au système de soin pour permettre une prise en charge
de qualité, à domicile si elle est désirée. Les aidants doivent être informés du recours
possible aux équipes de soins palliatifs à domicile, à lhospitalisation à domicile (HAD)
et aux associations de bénévoles spécialisés dans cet accompagnement. Si une fin de
vie à domicile nest pas souhaitée ou envisageable, lentourage doit être informé des
alternatives hospitalières possibles.
5 - Quelles sont les conditions de délibération en équipe ?
La démarche éthique inclut les quatre grands principes de dignité, solidarité, équité
et autonomie-liberté. La solution est toujours plus vaste que le problème.
La maladie dAlzheimer, en détruisant la communication, ne permet pas aux soignants
de se prévaloir du consentement éclairé du patient, et les oblige à linterprétation, face à
des épisodes pathologiques souvent multiples et intriqués. Elle impose bien souvent de
décider de lopportunité dun traitement, de sa limitation, de son arrêt ou dune orientation
exclusive vers les soins palliatifs.
La délibération est la manifestation dune prudence qui doit présider à la prise de
décision : non pas tournée vers un bien suprême, mais vers un moindre mal, qui
constitue le seul bien relatif que léquipe peut sassigner comme but. Cette délibération
doit sattacher à renouer autant que possible le fil dune histoire, celle du patient, alors
qua disparu sa mémoire.
Dans les prises de décision, on sefforcera de respecter les désirs du patient, sil peut
encore les exprimer, ou bien ses éventuelles directives anticipées. Il convient de sinterroger
sur la place laissée aux proches, à la personne de confiance. Cela nécessite une
certaine patience des soignants, pour laisser advenir le temps de lautre.
Les décisions sont prises en équipe pluridisciplinaire, en essayant de rechercher un
consensus et en saidant éventuellement de référentiels ou doutils spécifiques, comme
la grille daide à la prise de décision de Renée Sebag-Lanoë, ou de lavis de tiers
provenant dautres horizons du soin (équipe de soins palliatifs, médecin dune
discipline différente, etc.).
56
On sattachera à mettre en balance les bénéfices attendus et les risques potentiels des
différentes solutions envisagées.
Cette façon de travailler doit explicitement figurer dans le projet détablissement ou de
service à domicile. Les principes fondamentaux ainsi que les règles du jeu doivent en
être préalablement établis. Laspect pluridisciplinaire et collégial des débats est le
meilleur garant contre les excès et les erreurs.
Cest toujours le médecin qui prend au final la décision et en assure la responsabilité.
Les équipes devraient être formées à des méthodes rigoureuses danalyse des
pratiques.
Acharnement thérapeutique, abandon,
euthanasie : quelles dérives ?
1 - Quel bien-fondé pour nos actions en matière de traitement ?
Il est difficile de définir le temps de fin de vie et les frontières entre persévérance
justifiée et acharnement thérapeutique, cessation dun traitement jugé futile et abandon,
qui peut être aussi restriction des soins.
Des principes, valables quel que soit le lieu de vie de la personne (domicile, EHPAD,
hôpital), peuvent guider laction face à un patient atteint de maladie démentielle en fin de
vie pour éviter les dérives :
-Des principes éthiques1 .
-Des principes daction (prise en compte de la douleur, confort, relation affective,
spécificités culturelles, ouverture spirituelle, etc.).
-Des principes dorganisation :
. réflexion collégiale et multidisciplinaire ;
. un leader compétent pour mener la réflexion (pas forcément le médecin) et
permettre lexpression de chacun ;
. un lieu et une durée définis ;
. établir un calendrier et ladapter aux événements évolutifs pour tenter
danticiper et ne pas être dans la précipitation ;
. assurer la présence au moins symbolique de la personne (une chaise vide ?) ;
. laisser le temps au cheminement réflexif de chacun.
1 Voir chapitre précédent Quelles sont les conditions
de délibération en équipe ?
57
VI - Fin de vie
DEFINITIONS DU GROUPE DE TRAVAIL
Labandon est labsence de soins adaptés par négligence, par méconnaissance, par incompétence,
par manque de considération de la personne atteinte de maladie démentielle en fin de
vie, par manque de personnel, épuisement des soignants, perte du sens du soin. Le malade
objet dabandon est victime dune perte de chance (ne pas avoir reçu un soin qui aurait
maintenu ou amélioré son état de santé ou sa qualité de vie). Il concerne le traitement médical, le
soin infirmier, le soin relationnel, la rééducation (réhabilitation de confort) et laccompagnement.
La cessation des soins à visée curative est le résultat dune décision ayant fait lobjet dune
réflexion partagée. La cessation des soins justifiée est une bonne mesure des soins palliatifs,
alors que labandon en est la dérive extrême.
Lacharnement (thérapeutique) prodigue des soins non justifiés, dont les bénéfices attendus
sont moindres que les risques prévisibles. Il peut faire suite à une période dabandon, par
culpabilité, souci de rattrapage, peur de ne pas avoir tout tenté. Ils ont à voir avec la non-
acceptation de léchec médical et personnel, la volonté de garder la maîtrise face à la maladie
et à la mort. Il vient à lencontre de lidée des soins palliatifs actifs pour lesquels laction est
persévérante et justifiée (suite à une concertation déquipe) mais dont lobjectif nest plus de
prolonger la vie.
Leuthanasie, au sens de donner la mort avec préméditation, est volontaire du point de vue du
patient sil la réclame, involontaire quand elle se fait à linsu du malade. Lassassinat compassionnel
est une dérive de la toute puissance : Je sais ce qui est bon pour lautre.
EUTHANASIE : DEFINITIONS
Leuthanasie est une action ou une omission dont lintention première vise la mort dun malade
pour supprimer la douleur. Leuthanasie est une mort imposée qui soppose à la mort naturelle. La
distinction entre leuthanasie et linterruption de soins disproportionnés est essentielle.
Leuthanasie volontaire directe ou active est ladministration volontaire afin de provoquer la mort
dans un but compassionnel à quelquun qui la demande parce quil est atteint dune maladie
grave, incurable et douloureuse.
Leuthanasie indirecte ou double effet est ladministration volontaire de substances visant à
soulager la douleur mais pouvant provoquer un risque vital aux doses utilisées et nécessaires
pour soulager la douleur.
Leuthanasie passive est le renoncement aux thérapeutiques curatives inefficaces.
Leuthanasie involontaire est lassassinat compassionnel.
Leuthanasie dexception est une notion proposée par le Comité Consultatif National dÉthique
afin de permettre, dans certains cas exceptionnels, de provoquer la mort dun malade.
Laide au suicide ou suicide assisté est une méthode qui consiste à mettre du poison dans la
seringue et à faire appuyer par le malade afin déviter les poursuites.
LE DOUBLE EFFET (1)
Enoncée par Thomas dAquin au XIII è siècle, à propos de la légitime défense, la règle du double
effet appartient à la tradition de la théologie morale (2). Elle est aujourdhui exposée sous la forme
suivante(3) :
On peut accomplir un acte ayant à la fois un bon et un mauvais effets seulement si le bon effet
est supérieur au mauvais et si, de surcroît, au moins les conditions suivantes ont été remplies :
- lacte en lui-même doit être bon ou moralement neutre, ou tout au moins ne doit pas être interdit ;
-le mauvais effet ne doit pas être un moyen de produire le bon effet, mais doit être simultané ou
en résulter ;
- le mauvais effet ne doit pas être intentionnel ou approuvé, mais simplement permis ;
-leffet positif recherché doit être proportionnel à leffet indésirable et il ny a pas dautre moyen
pour lobtenir.
Au total, on peut souligner que deux notions sont particulièrement importantes dans lapplication
en médecine de cette règle du double effet :
-le principe de proportionnalité, qui la guide, et permet la mise en oeuvre de mesures médicales
de dernier recours, en imposant une délibération préalable, de préférence collective ;
-lintention, qui reste au coeur de la théorie du double effet (4), et lon peut dire quun acte qui
précipite délibérément la mort ne serait pas sous le couvert de ses principes.
2 - Quelles dérives ?
Le risque de discrimination dans laccès aux soins palliatifs pour les personnes
atteintes de maladie démentielle et en particulier celles issues de milieux socioéconomiques
défavorisés.
La tentation de légiférer et dencadrer les décisions médicales difficiles en fin de vie
concernant les personnes incapables dexprimer leur volonté en lieu et place de la
création despaces de réflexion éthique.
Le risque de légitimer leuthanasie des déments par les directives anticipées et la
tentation de se prémunir à lavance de lévolution de cette maladie et de ses propres peurs,
angoisse, souffrances confondues avec celles du malade.
Et plus insidieusement, les contraintes économiques ouvrant la voie à labandon de prise
en charge qui est de lordre dune dérive euthanasique.
(1) JC Fondras, in Médecine Palliative, N° 2,
Décembre 2002
(2) Thomas dAquin, Somme Théologique.
Paris : Editions du Cerf, 1985, II,II, 64, a.7-8
(3) P Blackburn. Léthique, fondements et
problématiques contemporaines.
Saint-Laurent, Québec : ERPI; 1996
(4) A Thorns, in European Journal of Palliative care,
1998 ; 5.
59
VI - Fin de vie
Législation de la fin de vie
LEGISLATION FRANÇAISE
La loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à laccès aux soins palliatifs
-définition des soins palliatifs ;
-droit à laccès aux soins palliatifs pour la personne malade en institution ou à domicile ;
-droit de refuser pour la personne malade toute investigation ou thérapeutique ;
-droit pour laidant à un congé daccompagnement.
La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé
-droits des usages en matière dinformation, de consentement, dossier médical
-statut juridique de la personne de confiance ;
-réparation et accidents thérapeutiques.
La loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie
-refus de lobstination déraisonnable et obligation de dispenser des soins palliatifs ;
-principe du double effet ;
-obligation de mise en oeuvre dune procédure collégiale en cas darrêt ou de limitation de
traitement ;
-renforcement du rôle de la personne de confiance à travers la procédure collégiale
-statut juridique des directives anticipées ;
-développement des soins palliatifs.
COMITÉ CONSULTATIF NATIONAL DETHIQUE
En 2000, le Comité Consultatif National dÉthique (CCNE) plaide pour une interdiction de leuthanasie
active, mais également pour une sorte dexception pour les cas extrêmes, à condition de prendre
en compte les exigences éthiques suivantes :
il ne peut sagir que de situations limites ou de cas extrêmes ;
lautonomie du patient doit être formellement respectée et manifestée par une demande
authentique (libre, répétée, exprimée oralement ou antérieurement dans un document).
Pour conclure
L
L
a réflexion éthique conduit à un questionnement sur la dignité humaine, la
solidarité et la justice. Mais, cest souvent devant des situations intolérables,
injustes que survient un sursaut éthique. Il sagit souvent de situations de
crises qui pourraient être prévenues. La personne atteinte de maladie
dAlzheimer évolue souvent de crise en crise émotionnelle et relationnelle.
Beaucoup de ces crises pourraient être évitées par une démarche danticipation.
Une attention quotidienne des proches et des soignants associée à une vision globale
de la situation permet souvent danticiper les difficultés, et offre au malade un parcours
moins heurté, moins violent, moins douloureux et plus paisible.
Donc cest toujours en situation que sapplique une démarche éthique.
Ces crises avec débats éthiques apparaissent lorsque :
-il y a conflit dintentions ou dintérêts entre la personne âgée malade et ceux qui la
prennent en charge ;
- il y a décision à prendre avec des choix qui comportent des risques ;
- il y a incertitude sur le résultat des actions entreprises ;
- il y a contrainte entraînant des privations de liberté ;
- il y a intervention à un coût économique élevé pour des ressources rares,
-il y a situation durgence où linformation est nécessairement incomplète pour
prendre des décisions ;
-il y a danger disolement voire dabandon en fin de vie de ces malades lorsque la
communication est devenue très difficile.
Le débat éthique fait référence à des valeurs morales. La hiérarchie en est différente
pour chacun. Elle est liée aux valeurs dominantes de notre société et à lhistoire
personnelle de chacun. Le conflit éthique naît dune tension voire dune contradiction
entre ces valeurs. Par exemple : liberté/sécurité ; équité/égalité ; respect de lautonomie/
protection des faibles
Lorsque les décisions sont difficiles à prendre, quels sont les acteurs en cause ?
Car il sagit dune partie qui se joue à plusieurs : le sujet âgé lui-même, la famille ou
lentourage, les professionnels, et linstitution soignante ou hébergeante.
Le malade lui-même est un sujet âgé fragile et vulnérable avec dautres pathologies
qui sajoutent à la maladie dAlzheimer.
Les situations de crises peuvent être dues à lévolution de la maladie démentielle, aux
pathologies associées, à lincompréhension devant les agissements du patient, ou à la
compétence insuffisante des intervenants, ou encore à linterprétation variable des
symptômes par les soignants et les médecins, particulièrement des symptômes
douloureux.
Les difficultés importantes surviennent lorsque la personne âgée nest pas reconnue
comme acteur de la décision la concernant, son avis nétant ni demandé ni recherché.
On la considère comme un incapable. Les décisions en période de crise seront dautant
plus difficiles à prendre que lhistoire de vie du malade âgé nest pas connue, quil y a
manque dinformation sur le vécu affectif et relationnel passé, sur les choix antérieurs
et les valeurs du malade âgé.
Les crises arrivent dautant plus facilement que lhistoire familiale comporte des
conflits et des ruptures antérieures qui nont pas été réparés. Des avis divergents entre
les membres de la famille sur les modes de prise en charge ou le choix de vie pour la
personne âgée aggravent ces crises.
Cela peut survenir par exemple entre le conjoint et les enfants. La situation est
fragilisée lorsquun soutien insuffisant est apporté à la famille, en particulier sil sagit
dun conjoint âgé et lui-même malade. Des abus plus ou moins acceptés par la
personne âgée peuvent survenir lorsquil y a des conflits dintérêts financiers entre la
personne âgée et ceux qui la prennent en charge.
Pour conclure
Plusieurs éléments de cette préface ont été extraits
dun texte remis pour lexpertise INSERM sur la
maladie dAlzheimer et du livre Alzheimer : vous avez
dit démence ? de François BLANCHARD,
Gérard CHEMLA, René DAVAL, Didier MARTZ,
Isabella MORRONE, Jean-Luc NOVELLA,
Elisabeth QUIGNARD aux Editions Le Bord de lEau.
Dans ces conflits où lémotionnel devient irrationnel, on balance entre sur-protection
familiale et à linverse abandon familial avec phénomène de deuil anticipé.
Lentourage professionnel manque souvent de temps et de compétences. On fait des
choses que lon na pas envie de faire ou que lon ne devrait pas faire et on ne fait pas
des choses quon devrait faire ou quon voudrait faire. Le plus souvent les crises
surviennent dans un contexte de surcharge de travail avec risque de dérapage. La
situation saggrave lorsque sajoutent insuffisances de compétences gériatriques
médicales et paramédicales ou insuffisances de compétences de management du
personnel. Dans ces circonstances, il ne faut pas négliger les défauts de contrôle, les
projections et les fantasmes face à la vieillesse, à la maladie et à la mort.
Ceci peut conduire à des dérives très délétères voire mortelles
dautant plus si
linstitution lamine les possibilités dexpressions pour les soignants.
Une démarche éthique
Dans ces situations de crises (en particulier lorsquil sagit dun problème de santé),
plutôt que des solutions, nous pouvons proposer une démarche éthique pour créer les
conditions qui rendront plus faciles la résolution dans le sens du respect et de la dignité
du malade.
Cette démarche repose sur un trépied de base :
1. Rendre au malade âgé sa place de sujet âgé à part entière avec son identité et son
histoire propre. Soulignons limportance de la qualité de lécoute sans projection en
aidant le sujet à sexprimer, en cherchant le sens de ses comportements non
verbaux.
2. Donner du temps au temps. Les urgences qui engagent le pronostic vital sont rares.
Ce temps permet de prendre la distance indispensable pour comprendre ce qui se
passe, dénouer et apaiser les crises.
3. Créer une triangulation. Il est nécessaire dintroduire un tiers, de ne pas senfermer
dans une relation à deux, où le malade est en position de faiblesse.
Ce tiers peut être un psychologue, un médecin consultant extérieur, tout autre
référent non impliqué et dont la compétence est reconnue. Il nest pas souhaitable
quil soit en position dautorité hiérarchique et administrative.
Ce trépied étant acquis, la démarche éthique peut ensuite être engagée en quatre temps
selon onze critères principaux.
Premier temps : analyse de la situation
1.
Se rendre auprès du sujet âgé malade pour rechercher ses souhaits, ses choix, ses
désirs dans ses propos et par son comportement non verbal.
2.
Chercher plus dinformations :
sur le sujet âgé, à travers son histoire de vie, ses comportements antérieurs, les
valeurs quil a manifestées ;
sur la maladie elle-même et les maladies associées, leur degré dévolution, leur
pronostic, les possibilités thérapeutiques ;
sur le problème actuel. Est-il identifié, accepté et bien compris par les différents
acteurs ?
La recherche dinformations est un temps fondamental qui peut largement être
anticipé par un recueil déléments avant que la maladie ne soit à un stade sévère.
3.
Identifier les problèmes éthiques : quelles sont les valeurs en opposition ? Quels
autres conflits sont sous-jacents ? Quels sont les enjeux pour les différents acteurs ?
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Deuxième temps : recherche de solutions
4.
Prendre du recul, trouver un moment et un lieu pour une discussion, à plusieurs,
avec la famille, avec les soignants. Cette discussion devrait se faire en présence du
malade. Soulignons aussi lintérêt dune anticipation, dune réflexion préalable qui
permettra de prendre du recul au moment de la crise.
5.
Être créatif, trouver plusieurs solutions ou propositions :
Une solution unique est une impasse ;
Deux solutions enferment dans un dilemme de type binaire ;
Trois solutions permettent un véritable choix et ouvrent souvent vers dautres
possibilités ou une autre issue, une quatrième voire une cinquième solution.
6.
Vérifier la faisabilité, le coût et la conformité juridique des solutions retenues.
Adapter la solution à un contexte qui peut changer.
Troisième temps : prise de décisions
7.
Prendre une décision et en assumer les conséquences après avoir envisagé en
équipe plusieurs possibilités différentes. Cest la responsabilité et le rôle du
médecin lorsquelle concerne la santé au sens large. Lorsque la décision est lourde
et le résultat incertain, il nest ni juste ni éthique de faire prendre cette décision par
la famille. En cas déchec avec des conséquences dramatiques, elle en porterait
ensuite la culpabilité.
8.
Cest le devoir et lhonneur du médecin dassumer cette décision.
Parfois aussi, le médecin pourra aider à délier un proche dune promesse faite de
ne jamais placer en institution ou de rester toujours à la maison lorsque cela
est devenu intenable.
9.
Faire connaître et expliquer la proposition retenue. Retourner auprès du malade
pour lui en faire part et rechercher son accord par une vérification verbale et non
verbale.
10. Laisser des traces écrites de la décision prise et du contexte dans le dossier
médical et le dossier de soins. Cest une obligation légale.
Ces traces écrites et ces explications sont indispensables pour éviter des décisions
contraires qui seraient prises ultérieurement dans un contexte durgence par des
intervenants non avertis, comme un interne ou un médecin de garde.
Quatrième temps : réévaluation
11. La décision prise est un choix qui engage et auquel on doit se tenir ; mais il est
toujours temporaire et doit être régulièrement revu et réadapté. La date où la
situation sera réévaluée, et où les décisions seront réexaminées, doit être précisée
et également notifiée par écrit.
Cette démarche en quatre temps apporte dans la tempête de ces situations difficiles
comme un repère et un phare pour trouver la bonne navigation vers des eaux plus
calmes car, comme le disait déjà Sénèque, il nest pas de vent favorable à celui qui ne
sait où il va.
Dautres difficultés ou conflits naîtront sans doute. Les discussions ne seront jamais
closes et les réponses ne seront jamais définitives (ce qui serait contraire à une
démarche éthique).
Restons vigilants et attentifs, prévoyants, capables de sursaut éthique, capables
dengager une réflexion collective pour prévenir les situations difficiles. Cette
conscience éthique éveillée et partagée permettra de tendre vers cet idéal, proposé par
Paul Ricoeur, dune vie bonne pour soi, pour et avec lautre dans des institutions justes.
Pour autant, restera toujours le mystère de la personne humaine car, comme le dit
Emmanuel Levinas, rencontrer autrui, cest être tenu en éveil par une énigme.
Plusieurs éléments de cette conclusion ont été extraits
dun texte remis pour lexpertise INSERM sur la
maladie dAlzheimer et du livre Alzheimer : vous
avez dit démence ? de François BLANCHARD,
Gérard CHEMLA, René DAVAL, Didier MARTZ,
Isabella MORRONE, Jean-Luc NOVELLA,
Elisabeth QUIGNARD, aux Editions Le Bord de lEau.
Professeur François BLANCHARD
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Alzheimer
léthique en questions
Concept Santé -01/07
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